Entre-deux

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Gellert ouvrit doucement la main, en grimaçant un peu, et relâcha le bijou qui se remit à flotter à quelques centimètres de son visage. Il avait trouvé un prétexte quelconque pour fuir ses fidèles, s'isolant dans la seule chambre de la petite maison. Celle-ci, aussi faiblement meublée que les autres pièces, ne comportait pour tout mobilier qu'un lit, un bureau et une unique chaise.

C'était sur celle-ci qu'il était assis, la tête posée contre ses bras croisés sur le bureau. Il ne s'était pas soucié de froisser les feuilles éparpillées, regroupant plans pour le plus grand bien et potentielles pistes vers les Reliques, la plupart d'ailleurs élaborée durant ces deux mois d'été où il s'était senti pleinement accepté, compris, et plus important encore, aimé.

La plupart élaborée avec Albus.

Le jeune homme n'avait jamais quitté ses pensées. Contrairement à son ancien amant, Gellert n'avait même pas essayé de fuir ses souvenirs. À quoi bon ? Il savait que cette lutte était vaine. Comment aurait-il pu oublier, alors qu'Albus faisait partie intégrante de ses projets ? Et s'il devait être tout à fait honnête avec lui-même, il reconnaissait qu'il n'en avait pas la moindre envie.

Alors il s'était consacré avec plus de détermination que jamais à construire un monde où les sorciers ne seraient plus obligés de se cacher. Il s'était impliqué corps et âme, s'était noyé dans ses projets, travaillant jour et nuit, pour ne pas s'égarer dans ses pensées. Il s'était absorbé dans sa quête pour les Reliques, bien plus qu'il ne l'avait fait avec Albus, car... ensemble, ils n'avaient pas consacré tout leur temps aux Reliques. Au cours de ces six dernières années, il s'était investi plus que jamais auparavant. Pas pour oublier, non, il savait qu'il ne pourrait jamais oublier. Juste... pour que la douleur cesse. Juste quelques instants.

Et elle avait... eh bien, elle n'avait malheureusement pas cessé, mais elle s'était endormie. Elle pulsait sourdement, mais il réussissait presque à l'ignorer. À continuer comme si la moindre chose, du roux des feuilles d'automne, qui lui rappelait ses cheveux, à la plus petite paire de chaussettes, en passant par sa bague en argent, qu'il ne portait plus depuis longtemps - comment se concentrer sur ses projets si elle restait toujours sous ses yeux ? - mais qui, dans un accès de faiblesse, avait atterri dans la poche de sa chemise. Son ancien amant portait-il toujours la sienne ? Non, les souvenirs qu'elle exhumait étaient trop douloureux, il avait dû s'en débarrasser, ou du moins l'ôter de sa vue, lui aussi - et par toutes les sucreries, ne lui évoquait pas Albus.

Albus, qui était le seul à lui avoir procuré ce dont il ignorait avoir éperdument besoin avant de le rencontrer.

Albus.

Lorsque le mage noir avait compris, cette douleur latente, qu'il croyait enfouie au plus profond de lui avait déferlé, submergeant avec facilité les digues qu'il pensait inébranlables.

Albus et ses cheveux auburn, trop longs pour l'époque, dans lesquels il aimait tant glisser les doigts.

Albus et ses yeux bleus, pétillants de malice.

Albus et son odeur si rassurante, parfum de livre neuf, de fleurs et de magie.

Albus et son intelligence fabuleuse.

Albus et ses lèvres douces.

Albus et son fou rire.

Albus et ses baisers.

Albus et son sourire.

Albus et ses ouvrages.

Albus et ses sucreries.

Albus et sa fascination absurde pour les chaussettes.

Albus et son nez, un peu trop long peut-être, mais qu'il adorait embrasser.

Le temps d'un rêveWhere stories live. Discover now