2h - En eau froide

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« Les rêves sont les mirages bleus du désert. »
Euphoria

Love Yourself "Answer"

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C'était la mi-février. Je n'avais même pas encore 28 ans. Je ne me souviens pas de la date exacte car à cette époque les jours se mêlaient dans ma tête avec une fluidité quasiment artistique. En ce temps-là, j'avais cessé de croire. De croire tout court. Cette place qui était restée vide dans ma tête avait donné lieu à une incroyable, et absurde propension à tester les limites de ma vie, comme on apprend à le faire quand on est enfant. Et c'est ainsi qu'une nuit, je frôlai la mort pour la première fois. Ou bien peut-être que ce n'était pas la première fois. Mais cette fois-là, elle est apparue très nettement devant moi. Je la savais là, vibrante et froide, comme l'eau qui tenait, léchait, et mordait mes mollets.

Bien entendu, cette histoire n'est pas celle de ma mort. Au contraire. Car même dans le brouhaha de ces journées confuses, j'ai appris à dessiner les contours de ce qui allait irrémédiablement s'ouvrir à moi. En vérité, c'était l'histoire d'une rencontre. Rien de plus que ça.

I.

À vingt-sept ans, j'avais franchi la ligne de ma vie. Ou plutôt, j'avais franchi la surface. On ne peut pas dire que je ne croyais plus en rien. J'avais plutôt cessé de faire semblant de croire. Croire en ce qui devait et avait toujours dû être important. Le boulot. La famille. L'amour. Tout ce qui était faux avait disparu. Tout ce qui était déjà moi l'était devenu d'avantage. Alors, il ne restait pas grand-chose. Une fois vide, j'avais été pris d'un vertige. Le monde réel. Ses villes, ses gens, sa hargne. Son agressivité contrite, sa morosité palpable. Et puis notre génération. Qui a toujours faim, vit dans cette guerre permanente, et ne la voit même pas. Quand cette Terre d'hommes troublés a vu la brèche, elle s'est infiltrée en moi. Je ne voyais plus que ça. Je me suis dit qu'il ne valait mieux pas essayer de croire en quoi que ce soit, puisqu'il n'y avait plus rien.

Au moment où débute mon histoire, je vivais dans notre « résidence secondaire », celle qui nous avait surtout servi pour les week-ends et les vacances d'été quand j'étais gamin. Une maison haute et blanche sur le bord de mer, étroitement serrée entre d'autres bâtisses construites entièrement à l'identique. J'étais seul. Je ne voyais personne. À la vérité, on m'avait diagnostiqué une forme de dépression doublée d'anxiété sociale, et m'avait conseillé de me retirer, de respirer, de prendre du temps. C'était plus compliqué que ça. C'est toujours plus compliqué que ça. Alors j'étais seul. Est-ce que je voulais l'être ? Je ne sais pas. Mais voilà, c'était compliqué.

C'était le pire moment de l'année. Le moment où les saisons sont mortes et où le froid est si froid qu'il rend le ciel silencieux. Le moment où les fêtes sont passées et où l'on ne peut même plus se servir d'elles pour sauver l'ambiance. Fêtes que j'avais par ailleurs passées engoncé dans un pull informe, dans des coins de pièce, ou sur des fauteuils épais, à écouter une de mes nombreuses cousines (sans doute) me raconter son voyage au Népal, la beauté de Sagarmatha, la grandeur de Katmandou, et ô combien elle s'est sentie utile et connectée aux peuples pauvres. Je suis plutôt bon pour hocher passivement la tête et sourire aux choses merveilleuses qu'une famille peut raconter. Mais cette fois, et au vu du regard qu'elle m'a lancé, j'ai sûrement été moins convaincant qu'auparavant. Le reste du temps, je l'ai passé à attendre la nouvelle année et à boire du champagne. Beaucoup. Trop. De champagne.

Et voyant tout ce petit monde s'aimer si fort et se dandiner sous les branches de guis et puis les confettis, j'ai réalisé. A vingt-six ans, moi, Min YoonGi, je n'avais rien accompli de ma vie. Je n'attendais rien. Et j'avais constamment, constamment, constamment envie de dormir.

Matriochkas - [Advent Calendar]Место, где живут истории. Откройте их для себя