Chapitre 23

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- Circulez ! Rentrez chez vous, il n'y a rien à voir !

Une paire de jambes vient volontairement se dresser entre mon regard et le sac dorénavant fermé et pour la première fois, je baisse la tête. Mes mains lâchent le sol pour venir s'enfoncer dans mes cuisses et seulement là, j'autorise quelques-unes de mes larmes à couler. Je ne suis pas spécialement triste, je suis juste en colère, haineuse envers moi-même. Je n'aurais pas dû l'abandonner.

- Naesil, on rentre à la maison.

Jisung sert un peu plus son étreinte contre mes épaules pour me forcer à me relever. Je le laisse faire. Je n'ai pas la force de lutter contre lui, contre mes larmes, contre personne. Je sens les cailloux se décoller des nouvelles plaies sur mes genoux nus et à mon plus grand plaisir, le sifflement revient dans mes oreilles quand mon regard embué de larmes capte la bouche à demi-ouverte du blond.

Je ne veux plus rien entendre, plus rien du tout, désolé.

Quelqu'un retire mon sac toujours posé sur mes épaules avant de passer l'un de mes bras autour de sa nuque. Je ne vois rien à cause de l'eau salé coulant de mes yeux, je n'entends rien à cause du sifflement. Il n'y a plus que mes pas maladroit et la personne qui me soutient, sans oublier la tempête de souvenir sous mon crâne.

Je revois ces matinées dans le jardin, à jouer au foot avec papa et Eunji. Je revois Eunji sur son lit d'hôpital après son troisième arrêt cardiaque, la mine détruite de papa, les larmes de maman. Je revois le teste, cette feuille blanche posée sur la table de la cuisine et ces mots écrit en rouge "correspondance paternité moins de 2 %". Je revois ma robe noir au tribunal et celles à volants et à paillettes lors des réceptions. Et puis il y a l'appartement, les paquets de bonbons et sa main se fracassant dans l'air. Des flashes, comme si moi aussi, je vivais mes derniers instants sous la chaleur étouffante de cette journée d'été. Est-ce que je veux mourir en été ? Et lui, il le voulait ?

J'en doute, papa n'aimait pas spécialement l'été parce qu'il avait trop chaud dans ses beaux costumes trois pièces. Même s'il n'en avait pas porté depuis des années maintenant, je suis persuadé que ce sentiment n'a jamais réellement changer. À cause de moi, il est mort durant l'une des saisons qu'il appréciait le moins.

Eunji, lui, a au moins eu la chance de passer de l'autre côté durant l'automne, sa saison favorite, quand les couleurs se teintent de rouge. Le même rouge que ses draps d'hôpital à la suite de ses quintes de toux sans fin.

L'air devient d'un coup beaucoup plus frais. Un instant, j'ai cru que c'était la fin, que, ça y est, j'allais avoir la chance d'être avalé par la terre. Mon aura aurait pu disparaître une bonne fois pour toutes de cette maudite planète, mais il n'en est rien. Nous sommes simplement arrivés à la maison. Leur maison, aux garçons, à ceux qui m'aident sans savoir ce qui risque de leur tomber dessus, pas ma maison.

Ma maison a été vendue aux enchères, il y a des années, avec toutes mes robes et mes jouets. Papa m'a dit que ce n'était pas si grave, ce n'était que matériel puisque nous étions encore tous les deux. Et puis il a rencontré son marchand de bonbon, son dealer, et tout a changé. Il aurait mille fois préféré me vendre moi que sa belle maison. Il aurait dû, il serait encore en vie à l'heure actuelle. 

Mes jambes quittent le sol, je suis sur l'un des canapés de la salle. On retire mes chaussures et à travers le sifflement presque disparu, j'entends Jisung ordonner à tout le monde de quitter la pièce. À travers mes larmes, j'aperçois son visage inquiet. Il y a des murmures, l'escalier qui grince, des portes qui se claquent et enfin, le silence.

- Je vais aller chercher de quoi nettoyer tes plaies d'accord. Reste là.

Sa voix grésille dans mes oreilles et je le vois quitter mon champ de vision. Au moment où j'entends la porte de la salle de bain s'ouvrir, mes larmes cessent de couler. J'ai un moyen d'arrêter tout ça, même si on est en été, j'ai un moyen de partir.

Mon corps se met en marche tout seul, mes jambes que je pensais incapable de me porter jusqu'alors se mettent à courir. Je gravis l'escalier en quelques secondes et ouvre la porte de ma chambre à la volée. Je dois les trouver, la boîte doit être dans ma valise.

Je tombe sur mes genoux douloureux pour récupérer ma valise glissée sous le clic-clac. Je l'ouvre et l'éventre à la recherche de mon échappatoire, ma clef de sortie.

Des vêtements volent dans tous les sens, redécorant la pièce de tout ce qui me caractérise, sans succès. Ma valise est vide et la boîte métallique est toujours introuvable. Un hurlement presque bestial s'extirpe en dehors de mes poumons et je lance ma valise à travers la pièce, sans prêter la moindre attention à tout ce matériel cher qui m'entoure.

Et puis quelque chose essaye de calmer ma transe en se saisissant de mes mains. Ses bras viennent complètement m'encercler, cherchant à canaliser du mieux qui le peut cette énergie dévastatrice qui tente de s'échapper de l'intérieur de moi.

- Où est-elle ? Où est ma boîte ? Continué-je à crier.

- Calmes-toi Naesil. Tente la voix douce et posée de Jisung.

- Où est-elle ? J'en ai besoin !

Je continue de m'agiter, cherchant désespérément à sortir de cette étreinte qui m'empêche d'enfin mettre le point final à ma misérable existence.

- Désolé d'avoir fouillé dans tes affaires... J'avais peur pour...

Mon cerveau active le mode survie, celui qui se met en marche quand on est dans une situation dangereuse en temps ordinaire. Sauf que chez moi, cette fonctionnalité marche à l'envers. Ce qui met réellement les gens en danger, c'est quand moi, je ne le suis pas. D'un coup de coude bien placé, je me libère de sa prise. Je saute sur mes pieds alors qu'une douleur lancinante se met à frapper à l'intérieur de mon crâne. J'ai besoin de mes cachets.

Jisung, après avoir repris son souffle, se redresse et essaye d'attraper mes poings. Ces derniers s'étant remis à cogner mes tempes pour faire partir le mal. Je le repousse de toutes mes forces, mais Jisung fait face, comme il l'a toujours fait et parvient une fois de plus à me maîtriser.

Mes bras retombent le long de mon corps et je laisse mes maux s'emparer de tout mon être, ma tête tombant mollement contre son torse.

- Je veux juste que tu ailles mieux. Murmure-t-il au-dessus de moi.

Mes ongles s'enfoncent dans les paumes de mes mains et je me remets à pleurer. Je ne veux pas aller mieux, je veux que tout ça s'arrête. Je veux respirer.

Fate (Stray Kids FF)Where stories live. Discover now