Chapitre 4-Without Fat 7297

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Mais ce n'est pas possible ! Elle s'épile là-dedans ou quoi ?
Je suis en train de faire le pied de grue devant le vestiaire femme de la salle à attendre que Slim veuille bien sortir ses grosses fesses de là ! Ça fait déjà 10 minutes qu'elle est là-dedans, c'est pas possible !
Alors que je m'apprête à entrer, quitte à surprendre ma stagiaire à poil, je suis stoppé dans mon élan par une voix familière, une voix que j'adore. Le sourire me revient.
— Alors, on joue le voyeur maintenant ?
Justine Cléri a toujours adoré me taquiner et ça depuis qu'on est tout petits. Elle est plus jeune que moi de quelques années et c'est la dernière personne que je fréquente encore qui appartient à mon enfance. J'ai été au fil du temps son défenseur à l'école, son confident au collège, son grand frère au lycée, il n'y a qu'à la fac où nos chemins se sont séparés. Quand Justine est revenue dans la région après ses études passées en Espagne, ça a été naturel avec elle sans jamais avoir eu envie de quoi que ce soit d'autre. Et tout a recommencé. A nouveau, nous avons été comme les deux doigts de la main et j'ai endossé à nouveau et avec plaisir mon rôle de grand frère protecteur, éloignant tous les prétendants que je jugeais un peu limite. Elle m'a toujours suivi. Sauf pour son dernier mec...
Si moi j'ai bien changé, il n'en est rien pour elle qui a conservé ce charme discret de l'enfance qui parvient à embellir certains adultes. Nous échangeons une bise amicale. Je me rends compte que cela fait un petit moment que nous nous sommes vus. D'habitude, c'est une fois au minimum par semaine qu'elle vient à la salle de sport ou que nous nous rendons au cinéma pour lequel nous avons une vraie passion et ce depuis toujours. Entre elle et moi, jamais rien ne se passera. Elle a été et est encore la sœur que je n'ai jamais eue.
— Ca fait un bail, dis-moi, sourié-je en la contemplant.
Justine prend un air contrit. Cet air qu'elle a depuis toute petite quand elle avait peur de m'avouer un secret ou une bêtise.
— En fait, je...j'ai recommencé...à le voir.
Je fronce les sourcils en ne comprenant pas bien où elle veut en venir ni de qui elle parle. Son regard clair me braque quand elle relève la tête, faisant danser l'une de ses mèches rousses. Un soupçon de crainte me fait tiquer sans que je n'en laisse rien paraitre. Ça ne peut pas être ça...
— Je sais ce que tu en penses et ce que tu vas dire mais...c'est comme ça ! Bref, David et moi on se revoit tout doucement.
Le sourire que je parvenais encore à esquisser s'efface à la seconde où le nom de ce mec, ce malade aussi dingue que Stanley a été prononcé. Comment Justine peut-elle se montrer aussi bête ?
— Effectivement ! fais-je sèchement. Comment tu as pu te laisser avoir ?
— Il ne m'a rien fait, je te signale.
— Il t'a quittée une première fois, non ?
— Mais ça, je m'en fiche ! Je l'aime tu entends ?
C'est la première fois que Justine contredit mon jugement. Depuis toujours, elle a suivi mes intuitions qui se sont révélées toujours vraies. Mon amie n'avait que sa mère, Nadine pour l'élever et de ce fait, elle m'a toujours considéré comme la référence alors pourquoi ce revirement de situation aujourd'hui ?
Je suis hors de moi, surtout quand je sais que ce David est l'un des potes de Stanley. Seulement, je n'ai aucune preuve qui peut l'affirmer et surtout je ne peux pas expliquer à Justine la vraie nature de mes craintes. Ce serait dévoiler une part de moi que même cette amie qui me connait par cœur ignore tout.
Je suis prêt à lui faire une scène, à lui gueuler dessus, à exiger qu'elle m'explique, bref à faire n'importe quoi pour éviter à Justine de tomber dans les griffes de ce David. Seulement, je suis freiné dans mon élan par une Slim qui se pointe enfin comme une fleur, affublée du bonnet et du maillot de bain extra large qu'on lui a prêtés.
— On peut y aller ! me lance cette dernière en me devançant sans me regarder pour se diriger vers la piscine de son pas lourd.
Justine et moi nous nous considérons quelques secondes. Je n'ai pas le temps de m'étendre sur le sujet et je n'ai surtout pas envie que Slim entende quoi que ce soit qui concerne ma vie privée. Je sens que mon amie comprend que je ne dirai rien, tout du moins pour l'instant et se contente de s'engouffrer dans les vestiaires femmes.
— Je croyais qu'on n'avait pas toute la journée ! me crie ma stagiaire au loin.
Je soupire, le cœur lourd des inquiétudes que me posent la potentielle relation de ma meilleure amie, je m'en retourne vers Slim en me disant qu'au moins je vais avoir quelqu'un sur lesquels je vais pouvoir passer mes nerfs.
***
— Allez ! Allez, Slim ! Votre graisse ne partira pas comme par magie !
Encore une fois, je me montre odieux sans véritable raison. Peut-être parce que je suis agacé de connaitre une Slim capable de me sauter à la gorge quand je lui fais la moindre remarque et que là, elle n'a pipé mot face aux deux abrutis du jacuzzi qui se sont foutus d'elle alors qu'elle passait devant eux. C'est ça aussi que je ne supporte pas chez la personne obèse, cette résignation, cette absence de réaction et parfois cette colère qui me ramènent directement dans mon passé douloureux. Et c'est justement ce dont j'ai voulu écarter Justine qui a naturellement tendance à l'embonpoint depuis l'enfance. Quand elle est sortie avec ce David pendant un mois et demi la première fois, elle avait pris au moins cinq kilos malgré son déni. Heureusement que j'étais présent pour les lui faire perdre avec ma méthode amincissante douce et surtout en provoquant la rupture avec ce con en qui je n'avais pas confiance. Je me suis toujours arrangé pour que ne sache rien de tout cela.
Je reporte une nouvelle fois mon attention sur ma stagiaire qui enchaine encore les longueurs de piscine. Mes beuglements et les coups de sifflets que je souffle à chaque fois qu'elle touche le rebord du bassin n'entachent pas ténacité. Slim galère, c'est vrai, mais elle se débrouille mieux que je l'imaginais. Ce constat couplé ce soupçon d'admiration pour sa vaillance ne font qu'accroitre ce jeu pervers des piques auquel je me livre automatiquement avec Slim.
— Allez, Slim ! recommencé-je de plus belle. Vous vous ramollissez ! On accélère !
Slim continue à nouveau. J'inspecte mon chronomètre, subitement inquiet n'y trouver pas moins de trente minutes écoulées. J'y vais trop fort, là ! Merde !
— Allez Slim ! On arrête ! Vous allez passer dans la cabine aquabike !
— Et pourquoi je ne peux pas le faire de là où je suis ? fait-elle en retirant ses lunettes de plongée, dévoilant son immense regard brun aux longs cils épaissis par l'eau.
Je me dépêche d'arrêter de m'extasier sur le visage de Slim et reporte mon attention sur ce qu'elle demande. Elle me soule à vouloir tout savoir ! Comme si elle ne pouvait pas juste faire ce qu'on lui demande !
— Tout simplement parce qu'il n'y a pas de vélo dans ce bassin ! On sort de l'eau maintenant !
Elle gagne le rebord en vitesse. Je m'agenouille pour entendre ce qu'elle a à me dire parce que je suis certain qu'elle va répliquer encore. Et je ne me trompe pas quand elle me fixe pour me sortir de sa voix éraillée d'essoufflement, un voile d'angoisse affaissant légèrement ses traits :
— Je...je vous en prie. Je peux continuer les longueurs, ça ne me dérange pas...
Ses billes chocolat roulent en direction du jacuzzi. J'ai compris. Les deux mecs qui se sont foutus d'elle la paniquent. Je suis un peu déçu de cette attitude teintée de lâcheté. Au fond, je pensais Slim beaucoup plus blindée que ça. J'aimerais envoyer ces deux connards ad patres moi aussi. Je la pratique moi-même pourtant mais j'ai du mal à la voir chez les autres. J'ai envie de prendre sa défense mais une fierté inexpliquée m'en empêche. Au fond, je ne souhaite pas que Slim se rende compte que j'ai parfois de la compassion pour elle. De toute façon, il est hors de question que je la laisse s'épuiser dans cette piscine. Je dois ménager ma stagiaire, il en va de sa santé.
— Je vois bien que vous peinez, campé-je sur mes positions. Et c'est pourquoi il faut vous faire changer d'activité.
Elle souffle face à mon refus catégorique. Ses petites mains se cramponnent un peu plus au rebord.
— Bien entendu ! explose Slim sans prévenir. Quand on est assez abruti pour se faire tatouer un « Without Fat » sur le bras, on ne peut pas comprendre un truc aussi simple que « je ne veux pas » !
Je me fige, transpercé par ses mots durs dont ma stagiaire n'a pas maitrisé la violence. Ces mots qui me jugent, ces mots qui me blessent en me précipitant dans mes souvenirs et en me jetant dans le feu de mon propre enfer. Je me redresse. Plus rien ne m'émeut chez Slim d'un coup. J'ai juste envie qu'elle la ferme et qu'elle se dépatouille toute seule dans sa graisse.
Je regagne comme un automate les gradins pour me calmer, tempérer mes tremblements, ceux de mon enfance, de ma souffrance et regarder Slim s'en sortir sans mon aide. Il n'y a pas d'échelle dans le bassin et la mine que Slim affiche me prouve qu'elle vient de le remarquer. Chez Commando Gunter, on préfère que les stagiaires ne considèrent pas la piscine comme moyen de détente et sans échelle, ils ne doivent compter que sur leur propre force pour pouvoir en sortir. Seulement, Slim est la première vraie obèse dont je m'occupe et papa m'avait déjà demandé de lui mettre l'échelle quand j'utilisais la piscine avec elle. La nouvelle que Justine m'a appris tout à l'heure m'a distrait et j'ai simplement oublié de la placer.
Mais tant mieux ! Cette hystérique peut toujours courir pour que je l'aide !
Je ne peux empêcher d'éprouver un vrai plaisir à la voir tenter de se retirer des flots qui semblent alourdir davantage son corps. Slim a beau se débattre comme un beau diable, elle n'arrive pas à se sortir du pétrin que ses mots, ses kilos et sa bêtise l'ont fourrée. Je pourrais sourire si ma plaie intérieure ne me faisait pas autant souffrir depuis que Slim l'avait mise à vif.
Soudain, une silhouette se précipite vers le bassin, une perche à la main. Je me relève à la seconde. Papa vient d'arriver et il a sans doute compris ce qui se passait. Slim parvient enfin à sortir de la piscine, à bout de souffle. Mon père lui tend une serviette alors que je me dépêche de les rejoindre. Je n'entends pas encore ce qu'il dit à Slim mais je sais qu'il lui demande de s'en aller, c'est pourquoi je m'empresse d'intervenir :
— Papa, je devais encore lui...
— Toi, tais-toi ! me coupe-t-il avec force. Chez Commando Gunter, on se doit de ne pas ménager les stagiaires mais nous avons l'obligation de les traiter avec respect !
Cette fois, il crie. Il me hurle dessus comme quand j'étais petit et qu'il estimait que je ne remplissais pas mon rôle de fils ou quand j'étais ado et qu'il ne pouvait rien face à mes conneries. D'un seul coup, je me sens rapetisser, me rétrécir pour finir par disparaitre à coup sûr. Je baisse les yeux, pris en faute, honteux face à cette Slim qui, je le sais, m'observe encore de ses grands yeux cruels. Quand elle finit par s'en aller vers les vestiaires, papa enchaine immédiatement :
— J'ai tout entendu, prononce-t-il les dents serrées. C'est toujours la même chose avec toi ! Tu restes incapable de mettre ce qui s'est passé de côté ! Tu détestes les obèses mais en même temps, tu luttes jour après jour contre leur obésité ! Explique-moi ce paradoxe !
— Je...je ne peux pas m'occuper de personnes qui ont ce genre de problème, Papa ! Tu le sais plus que n'importe qui, toi ! explosé-je à mon tour. J'en deviens méchant ! Ça me fait trop mal de côtoyer les gros !
Tout cela m'a échappé. Je me dévoile complètement et papa en a conscience puisque son regard bleu glaçon s'adoucit mais je ne veux pas de sa pitié !
— Je te demande simplement de faire ton job, Ulrich. Cette fille n'est pas responsable et toi non plus, d'ailleurs.
A ces mots, papa me laisse planté là, encore plus déboussolé. Je croise le regard des deux abrutis du jacuzzi. Il ne me faut pas longtemps pour me servir d'eux comme puching-ball :
— Où est votre responsable à vous deux ? Sortez de là ! On n'est pas au Club Med !
Je les observe détaler, manquant de se casser la gueule sur le carrelage trempé. Un sentiment de plénitude me soulage un peu. J'avais tellement envie de leur faire payer leur attitude à ces abrutis, au fond...
***
Je me dirige vers la salle de muscu dans laquelle j'ai aperçu Justine tout à l'heure. Je l'y trouve au téléphone, l'air absent, le téléphone scotché à l'oreille. Je suis sûr que c'est lui au bout du fil !
— Raccroche, ordonné-je sans détour.
Justine me considère, les yeux écarquillés, visiblement surpris par ma soudaine rudesse. Je dois afficher un sale air car elle n'insiste pas et se contente d'obéir sans protester.
— Si c'est pour me parler de David, ce n'est pas la peine. Il m'a tout raconté.
Elle n'affiche plus ce sourire d'admiration qu'elle m'a toujours octroyé depuis qu'on se connait. Quelque chose d'autre vient de se passer depuis tout à l'heure et je ne parviens pas à mettre le doigt dessus.
— Il t'as raconté quoi ?
Justine me coule un regard noir avant de se relever. Je le sais à la fraicheur de ses vêtements qu'elle n'a rien fait de ses exercices habituels. Quand elle me tourne le dos, j'ai la confirmation que quelque chose cloche. Je m'empresse de la rattraper :
— Qu'est-ce qui se passe ?
Justine se dégage d'un geste vif de mon emprise.
— Ce qui se passe ? Je vais te le dire Ulrich. Je te défends désormais d'intervenir dans ma vie, t'as compris ?
Jamais elle ne m'a parlé ainsi. C'est le deuxième uppercut que j'encaisse après celui décoché par Slim tout à l'heure, à la piscine.
— David m'a tout raconté ! C'est toi qui as tout fait pour qu'il me quitte ! Tu as même été jusqu'à le menacer ! m'assène Justine, les larmes aux yeux.
Je comprends enfin que tout est terminé, je suis découvert. Je ne suis pas fier de ma bassesse et d'avoir comploté dans le dos de mon amie mais jamais elle ne m'aurait écouté autrement. Elle était trop sous le charme de ce David Crig.
— Tu n'es qu'un fumier, Ulrich ! crache-t-elle, indignée. Tu savais que j'étais vraiment amoureuse et tu as détruit ce qui me rendait heureuse ! Comment as-tu pu jouer à l'ami parfait alors que tu savais que tu étais responsable de mon malheur ?
Je ne trouve rien à répliquer. Elle a raison mais Justine ignore tout de ce que des mecs comme ce David ou Stanley sont capables de faire. Ma bouche s'ouvre, prête à lui expliquer mes motivations mais je me ravise. C'est trop moche et ça m'implique.
— S'il faut te sacrifier pour vivre mon histoire avec lui, je le ferais sans hésiter. Je ne sais même pas qui tu es ! Heureusement que Stanley m'a aidée à renouer avec David !
— Stanley n'est pas fiable, Justine !
— Parce que tu l'es toi ?
Un silence de plomb s'éternise, entrecoupé par le bruit des machines utilisés par les stagiaires. Je n'ai aucune réponse à donner.
— Tu vois, termine Justine en récupérant la gourde qu'elle n'a pas bue, je me rends compte que je n'ai jamais eu de frère parce que pour moi mon frère, c'était toi, Ulrich.
Je la suis du regard tandis qu'elle s'échappe vers les vestiaires. Mon regard tombe par hasard sur l'affiche géante positionnée en face de la salle. Le top model Kandra C. dans son maillot de bain jaune minuscule semble me sourire à moi seul et me murmurer un « tu l'as bien mérité, connard... ».
Kandra, si seulement je pouvais te demander pardon...

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