Chapitre 20

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Medhi m'adressa un clin d'oeil en entrant dans la salle de repos, son plateau en équilibre sur un bras. Un sandwich emballé dans du papier kraft, une barquette de fruits colorés, une bouteille d'eau. Je l'admirais pour ça, cet équilibre qu'il avait pour tout, capable de se contrôler, tout le temps.

Je baissai les yeux sur mon plat préparé de pâtes carbonara, à vrai dire infâme. Mais c'était le moins cher du rayon et le seul truc qu'il restait dans mon frigo.

"Dis, est-ce qu'il reste des créneaux de libre pour la piscine ?

_ En solo ou en groupe ?

_ Juste Brahim."

Il haussa un sourcil, déballant son sandwich. Saumon crudités, mon préféré. Je me promis, comme toutes les semaines, de commencer à manger mieux dès demain.

"Hum, réfléchit-il. Surement, mais tard le soir. Pas avant dix-neuf heures pour faire passer quelqu'un seul. Lundi soir me semble-t-il tu peux. Je réserve ?

_ S'il te plaît. Tu me confirmes par message ?"

Il acquiesça tandis que je finis ma barquette en trois bouchées. Autour de nous passaient infirmières et infirmiers, stagiaires et quelques médecins, pressés de manger, cherchant un collègue, retournant travailler.

"Ca se passe bien avec lui ?"

La question de Medhi aurait pu passer inaperçue au milieu du brouhaha tant il l'avait posée à voix basse. De son air calme, il me regardait avec attention, mangeant sans bruit. J'acquiesçai sans oser affronter son regard.

"Tu le connais bien ?

_ Pas vraiment, en fait. Mais il était dans la classe de mon petit frère, depuis le collège ; Un gentil gamin, toujours poli, toujours aimable, toujours bien habillé, jamais à traîner dans les histoires. Lui et son frère étaient vraiment de bons gamins..."

Sans doute inconsciemment sa voix se brisa et il baissa les yeux sur ses grandes mains croisées. Il ne mangeait plus.

"Un sacré bon élève. Il a parfois aidé mon frère pour les cours. Je me suis même demandé si..."

Il serra les lèvresavant de souffler longuement.

"S'il c'était pas une excuse. Le genre de truc que j'ai sorti à ma mère pour faire venir des filles à la maison."

Il rit discrètement, les yeux perdus dans le vague de ses souvenirs.

"Abdel m'a toujours dit que non. Lui n'était pas comme ça.

_ Mais Brahim si, finis-je à sa place.

_ Il s'en doutait mais Abdel s'en foutait. Brahim était gentil et expliquait bien, c'était son ami.

_ Et si ton frère t'avait dit que... Lui aussi ?"

Le regard que Medhi me jeta me transperça et me renversa par sa puissance et tout la sincérité qu'il me montrait.

"J'aurais accepté. J'ai eu une éducation où l'on m'a appris que le mariage, c'est un homme et une femme. Que Dieu veut la procréation, non pas la récréation. L'union c'est sacré. Mais tu sais le vieux que je suis a été au collège, au lycée, à la fac. J'ai croisé des gens, j'ai vu des choses et j'ai appris autrement. C'est le cas de la majorité des gens de mon entourage ; les grands préceptes de nos parents nous paraissent d'un autre âge. Mais c'est pas le cas pour tout le monde, et les parents sont toujours là. Si moi j'avais accepté pour mon frère, je sais aussi qu'il aurait du partir de la maison. "

J'inspirai longuement, digérant l'information. Je me penchai un peu plus vers lui par réflèxe, comme pour lui dire un secret.

"Tu sais pour Brahim."

Il hocha la tête en un geste très lent sans me lâcher des yeux.

"J'étais chez moi ce soir-là. On est nombreux à avoir entendu le bruit de la dispute, le claquement de la porte, la moto qui démarre et part en trombe. Ils n'ont pas quitté la rue, tu le sais ? Percuté au carrefour. J'ai entendu le bruit des freins, le dérapage, la voiture qui est repartie en un crissement de pneus. Je suis sorti en courant. J'ai vu le corps de Yanis et Brahim inconscient qui serrait encore son frère dans ses bras. Je n'ia cessé de me demander toute la nuit, alors qu'on le transportait ici, si c'était à cause de ça. Si c'était ça qu'il fuyait. Je n'ai jamais eu de réponse mais peut m'importe, c'est un patient, et je ne me pose pas de question.

_ Même quand il te mord ?"

Il sourit, le visage vidé des fantômes du passé.

" Je lui rappellerai toujours "l'avant". Je ne lui en veux pas. Je sais que c'est un gentil gamin. Enfin, un gentil jeune homme maintenant.

_ Très gentil, murmurais-je."

Son regard ne se détourna pas de moi alors que je me tournai vers la porte par laquelle entrait Sophie en soufflant et repoussant ses cheveux qui s'échappaient de son chignon. Elle nous sourit en se dirigeant vers le fond de la salle et le micro-ondes. Je m'affalais un peu plus sur la table vers Medhi qui semblant comprendre le message, se pencha à son tour un peu plus. Mon cœur cognait si fort qu'il ouvrait sans aucun doute l'entendre. J'ouvris la bouche pour ne rien dire d'abord, puis plus pouvoir le retenir je murmurai :

_ Je crois que je l'aime bien."

Je ne dis rien de plus et il ne rajouta rien, Sophie tira la chaise à côté de nous. Je me redressai vivement, elle nous jeta un regard incrédule. Mais Medhi sourit et engagea la conversation. Mon cœur refusait de retrouver son rythme normal, je le sentais battra dans ma gorge, dans le bout de mes doigts. Et si mon collègue ne dit rien, le sourire en coin qu'il gardait au bord de ses lèvres ne me fit me sentir qu'un peu plus confiant.  

Blouse blanche [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant