The Entertainer

CHAPITRE 24

19h09 – 4 décembre

Cinq ? Dix fois ? Lorsqu'il en eut assez d'attendre sans réponses et avec cette inquiétude grandissante coupant parfois sa respiration, Jili ne toqua plus à la porte, mais frappait violemment sur celle-ci en criant les prénoms de la famille qui habitait dans cet enfer. Il avait commencé par Simon, ensuite, Pauline et avait fini par Emilio. Mais aucune de ces personnes ne se présenta devant lui, en lui ouvrant la porte, pour le rassurer, pour lui dire que tout allait pour le mieux et que la famille Maury se préparait à passer à table. Et voudriez-vous vous joindre à nous, aurait demandé Pauline. Il aurait répondu que non ; que Suzie l'attendait à la maison et qu'il avait simplement cru voir une lueur rouge. Ils le prendraient tous sûrement pour un fou, au moins pendant quelques semaines, mais ils ne lui reprocheraient pas sa prudence. Jili savait que personne ne viendrait lui ouvrir, comme il savait que Pauline ne l'inviterait pas à manger. C'était maintenant ou jamais. Entrer, avec le risque de ne jamais ressortir ; ou bien rebrousser chemin et ré-affronter la mer pour regagner la côte et passer la nuit sous les draps bien chaud. Tout jeune adulte, il serait entré mille fois dans cette foutue maison, puisqu'à l'époque, il n'avait rien à perdre et surtout la conscience tranquille s'il ne rentrait pas à l'intérieur. Maintenant, vieux débris – mais armé – qu'il était laisserait une femme seule et s'il se contentait d'attendre sur le pas de la porte, ne pourrait fermer l'œil sans penser à la catastrophe, que lui aurait pu évité. La nouvelle tuerie de Tomé et lui pouvait l'empêcher.

La poignée était froide, mouillée et donc glissante. Si bien que sa première tentative pour ouvrir la porte d'entrée fut un échec. Tout se liguait contre lui pour éviter son entrée dans cette maison. Fallait-il forcer ? Percer tout de même un chemin dans cette accumulation de mauvaises nouvelles ? 

Oui, abruti. Et plus vite que ça.

Personne n'avait fermé la porte à clé. Elle s'ouvrit sur le vestibule et son petit couloir qui menait sous le dôme. Il pénétra et referma avec son pied la porte, avec assez de force pour qu'elle se referme toute seule. Le COUNTRY Mc Jail était encore calé sous son épaule, les deux canons pointant vers le sol. A ce stade, Jili jugea plus prudent de relever les bouches pour éviter de se faire prendre par surprise. Le fusil était chargé et – fait surprenant – il ne tremblait pas. L'arme semblait comme la continuité de son bras. Il retenta les appels nominatifs dans le sens inverse, en commençant par Emilio. Quand ce fut autour de Pauline, Jili perçut – ou crut percevoir – une sorte de cri, faiblard et qui ne semblait même pas humain, venant du premier étage. Cependant, il était bien difficile de savoir et, dans la maison, quelques portes claquaient. Il avait d'ailleurs remarqué que la température ambiante laissait à désirer : plusieurs fenêtres avaient été ouvertes. Le fusil en joue, il sortit du hall et se plaça sous le dôme, dans le salon, avec la table superbe et toujours aussi bien cirée, la table basse du coin télé et ses pieds travaillés par un ébéniste talentueux, tant d'autres choses...le piano. Le piano couvercle retiré et livret de partitions ouvert et posé sur le pupitre incrusté. Les décorations taillées à même le bois étaient fantastiques ; sous un certains angle on aurait dit que l'instrument vous souriait. Qu'il allait magiquement prendre vie et vous jouer un de ces airs splendides et d'un ancien temps. Un temps que lui-même n'avait pas vécu et que son père avait simplement connu brièvement. Un temps où les recherches policières étaient mal organisées. Où tout était mal organisé, excepté le mal lui même. Le mal et ses trois apôtres.

Comme seule piste un gémissement, Jili se dirigea vers les escaliers et le premier étage. Le pied droit posé sur la troisième marche et l'autre sur la suivante, sa montée lente mais prudente s'arrêta. Il n'avait pas sursauté mais n'en était pas moins surpris.