31. Les Prisons de Glace (Partie 1)

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Sadjia fit signe à Keïdir de se relever tandis qu'une silhouette longiligne se profilait entre les rochers enneigés. Ils attendaient leur guide depuis une dizaine de minutes, assis sur des pierres déblayées tant bien que mal et heureux de porter enfin des vêtements qui les protégeaient du froid mordant régnant dans le col enneigé.

Ils avaient quitté leur désert alors qu'il faisait encore chaud et avaient amèrement regretté leur absence de bagage. La chouette maudite les avait beaucoup fait voyager, leur ayant fait traverser près de la moitié du monde connu, et Sadjia s'en voulait d'infliger cela à Keïdir, mais sans lui, elle ne serait jamais parvenue jusqu'ici.

Lors de la traversée du désert, la chance leur avait souri et leur chemin n'avait croisé celui d'aucune tribu. La chouette les avait toujours guidés sagement, se posant sur des amas de pierre ayant échappé à leur vue et sous lesquels ils avaient pu trouver un peu de viande, sous la forme de lézards ou de gerboises des steppes, et, en creusant un peu, un mince filet d'eau sableuse qui suffisait à les abreuver. Heureusement, les peuples sehiyennes étaient habitués depuis toujours à survivre dans le climat aride du désert, même si l'absence d'abri se faisait lourdement ressentir. On disait que, livré à lui-même, un sehiyenne n'avait besoin que de trois choses pour survivre : de l'eau, de la nourriture et un abri.

Là encore, la chance avait été de leur côté, et la chouette avait mis moins d'une semaine à les mener jusqu'à Ghadyrr. Là, ils étaient restés quelques jours chez l'oncle de Keïdir, le vieux Yamen, et les choses avaient commencé à se corser. Le marchand vivait dans une véritable opulence et n'avait jamais oublié la promesse faite au jeune couple avant leurs fiançailles. Il était prêt à leur céder sa maison pour une somme particulièrement modique, à la simple condition qu'ils l'hébergent dans une partie de la demeure qui avait été aménagée pour recevoir des hôtes de passage.

La maison était magnifique, avec ses murs blanchis à la chaux et son toit bleu. La salle d'eau, carrelée dans les mêmes tons, comportait même une baignoire et tout un tas d'objets que Sadjia n'avait jamais vus. Les Sehiyennes nomades ne faisaient qu'une toilette sommaire, avec un gant de crin et un baquet d'eau dans le meilleur des cas, aussi la jeune femme n'avait-elle jamais auparavant vu ni utilisé l'eau courante et chaude qui se déversait de la tuyauterie d'étain. Elle ne mangeait assise sur une chaise, face à une table dressée, qu'une semaine par an, à l'auberge des Trois Marchands pour la semaine du commerce de Ghadyrr. Tout ce luxe l'émerveillait et elle se refusait à partir.

Durant les trois jours passés à Ghadyrr, Sadjia passa trois nuits avec Keïdir dans une véritable chambre, dans un véritable lit à baldaquin paré de voileries transparentes et légères, où ils se décidèrent enfin à consommer leur mariage, dans la plus stricte intimité, loin de la foule traditionnelle et angoissante des cérémonies officielles. Oui, Sadjia aurait aimé ne jamais quitter cet endroit, y vivre pour toujours, vieillir paisiblement ainsi aux côtés de son époux en reprenant le commerce du vieil oncle bientôt à la retraite.

L'oncle Yamen, par ailleurs, avait été particulièrement bon avec eux, les accueillant sans poser la moindre question et faisant montre d'une hospitalité à toute épreuve. Il avait trois aimables domestiques : Sarri, la femme de ménage, à qui Keïdir refusait de laisser faire son lit le matin, Kerder, le cuisinier dont les plats étaient à tomber par terre et Imanni, la gouvernante dont Sadjia soupçonnait la liaison secrète avec Yamen. Il les avait invités à rester aussi longtemps qu'ils le souhaitaient et évoqua même leur achat de la maison.

Après tout, avaient-ils vraiment besoin de partir ? Etaient-ils véritablement en danger ? Cette maison était bien trop rassurante pour se croire menacé par quelque danger que ce soit. Mais le troisième matin, se dressant dans son lit, Sadjia avait vu la chouette sur le rebord de sa fenêtre. L'animal maudit ne cessait de piailler, s'envolant, virevoltant brièvement, avant de se reposer sur le rebord et d'hululer de plus belle. L'animal avait tant crié qu'il avait tiré Keïdir de son sommeil. Le jeune homme avait étreint sa femme longuement avant de soupirer :

2. Le chemin des dieux [Version non corrigée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant