Suite... (Fukétoiles)

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La tête incroyablement lourde de Rayenne pesait contre l'arrondi de l'épaule de Thomas, qui le serrait maladroitement contre lui. Debout dans l'entrée de l'appartement du grand rouquin, leurs deux corps étroitement serrés se balançaient doucement, dans un régulier mouvement perpétuel que ne perturbaient que passagèrement les soubresauts qui animaient la molle carcasse du brun lorsqu'un sanglot le saisissait. Celui-ci semblait épuisé, ses jambes le maintenant avec peine à la verticale, son souffle imbibé d'alcool, l'odeur de cendres s'accrochant à ses vêtements. Son regard labile se teintait un temps d'un profond désespoir, avant de se tourner vers une morne acceptation, une folle rage ou encore un malheur enfantin. Alors mollement ils tanguaient, valsant au rythme alangui d'une symphonie qu'eux seuls pouvaient entendre. Lentement, la langue pâteuse se délia pour confier ses maux, ses paroles fendant l'air effilochant son apathie.

Dans un silence confortable, Thomas écoutait ce que lui disait son ami, se gardant d'intervenir trop tôt, pesant chaque mot, imaginant ce que la vision teintée de douleur obscurcissait sûrement, dressant son propre tableau des scènes qui lui étaient amèrement contées. Leurs corps ne tanguaient plus, ils étaient stables l'un contre l'autre. Les grandes mains de Thomas caressaient tendrement le dos de son ami, montant, descendant puis recommençant machinalement le long de sa colonne vertébrale. Il en glissa une sur sa joue, traçant l'arc du cerne sombre, effaçant les traces de chagrin qui s'y trouvaient. Il se haussa légèrement sur ses pieds pour déposer ses lèvres contre le front de son ami dans un toucher tendre, et ce dernier enfoui sa figure dans le creux de son cou, inhalant doucement l'odeur chaude et réconfortante. Un léger parfum de cannelle emplissait agréablement ses narines, l'odeur de son gel douche. Un chaud relent de transpiration, qui ne le gênait même pas tant son cœur de porcelaine ébréchée lui semblait transi de froid, se dégageait également de sa peau ductile. Et dans tout l'appartement, il y avait cette odeur planante et confortable qui lui semblait l'accueillir dans une tendre étreinte à la manière de son hôte.

« Je m'étais fait trop à manger, viens. Tu ne devrais vraiment pas boire à jeun.

— T'es mal placé pour me faire la morale Thomas.

Time has passed, je te fais la morale comme tu me l'as faite quand t'étais dans ma situation, et moi dans la tienne. »

La tête basse cachant un sourire, entendre l'accent chantant britannique de Thomas glissant toujours une douce euphorie dans ses veines, le brun s'avançait le pas trainant dans le chaleureux chez-soi de son ami. Il se laissa tomber sur une chaise et joua mollement avec le plat de pâtes et de porc au caramel qu'avait déposé devant lui son ami, lequel le jaugeait désormais d'un air soucieux. Il prit une première bouchée pour lui faire plaisir, et le gingembre réchauffa vivement sa gorge. Il en prit une deuxième avec curiosité, et l'odeur de cannelle lui chatouilla les narines. Il leva un regard amusé vers l'homme aux cheveux de feu, et prit encore une autre bouchée, et une autre, jusqu'à finir son plat avec un appétit qu'il lui semblait avoir perdu. L'air satisfait qui trônait sur les traits du plus grand lui fit détourner un regard gêné tandis que Thomas récupérait son couvert pour le mettre dans l'évier, repoussant sans honte le moment de faire la vaisselle.

« Je suppose que tu dors ici ?

— Je... J'y'avais pas pensé, mais ouais, je veux bien.

— Je te préparais bien la chambre d'amis, but can't be arsed.

— Parce que t'as une chambre d'amis toi ?

Moreover. »

Rayenne avait rit, et quelques minutes plus tard, il se glissait dans le lit double sous les draps froids aux côtés de la silhouette réconfortante de Thomas. Simplement vêtu d'un boxer et d'un t-shirt trop grand appartenant à son hôte, ses lunettes posées sur la table de chevet, il fixait le plafond flou à travers l'obscurité avec une douce mélancolie. Sa relation avec Andreas avait été passionnelle, merveilleuse, violente et effrayante. Ils étaient au milieu d'une tornade, les temps d'accalmie se blottissant tendrement dans l'œil du cyclone, les disputes les repoussants l'un l'autre dans les vents cinglants qui malmenaient leur cœur. Une larme solitaire brilla quelques instants le long de sa joue, filant dans une courbe gracieuse avant de disparaître dans l'obscurité. Le t-shirt que portait Thomas lui appartenait, mais là était bien la seule différence. Lui aussi cherchait le sommeil mais les souvenirs d'une autre vie l'assaillaient dangereusement, éloignant tous les indices. Ses yeux humides semblaient eux aussi chercher des réponses sur ce plafond qu'il ne distinguait pas, alors que sa respiration profonde soulevait son torse. Se retenir de sourire alors que l'odeur de la chemise sur son dos apaise son cœur battant une chamade effrénée, les regards des parents d'Adrien pesant sur eux alors qu'il fait mine de ne pas les voir, les yeux fuyants de son amant. Mais le temps avait passé depuis, il ne restait plus de sable dans ce sablier, et lui n'était plus qu'une âme solitaire.

La tête brune vint craintivement se poser contre son épaule, lui tirant un sourire attendri qu'il ne tenta pas de réprimer. Une vague de sérénité se saisissait de son être, il se sentait apaisé, simplement bien. Rayenne qui lui arrache un verre des lèvres, ses plaintes quand il ne retrouve plus ses happy pills, son regard déchiré et celui soucieux qu'il croise à travers le miroir, l'ivresse en imaginant sa tristesse s'il faisait en sorte que cela cesse, sa main sur son genou le soutenant muettement quand il les voit ensemble. La tête de Rayenne avait chassé le petit diable sur son épaule. Il se souvenait que son ami avait toujours été là, et ça avait un côté rassurant. Il regrettait beaucoup de choses dans sa vie, mais plus il connaissait son ami, plus il se sentait béni.

« À quoi tu penses ?

— À nous. T'as toujours été là pour moi Rayou.

— Oh, ouais. Toi aussi.

— J'espère qu'on trouvera le bon, un jour.

— J'espère, ouais... Enfin, si ça se trouve, la solution c'est qu'on se mette ensemble ! »

Les deux rires gaiement aux paroles du brun, puis le silence les enveloppa de sa douce couverture. Ses paupières étaient lourdes, il colla un peu plus sa joue aux cheveux soyeux qui lui chatouillaient la peau. Il senti l'autre étouffer un bâillement, puis se redresser sur un coude. Il ne le voyait qu'à peine, mais il pouvait imaginer sans mal le sourire espiègle qui affleurait sur les lèvres de son ami, taillant de légère fossettes dans ses joues et faisant se plisser ses yeux brillant d'un amusement léger, de surface. Leurs lèvres se trouvèrent dans un baiser sans profondeur, taquin, qui cherchait plus à éloigner les mauvais souvenirs qu'à bâtir un avenir. Mais elles se retrouvèrent après quelques instants hésitants, s'accaparant vivement. Les mains de Thomas glissèrent sur la nuque de Rayenne pour le ramener plus proche, encore. Ils se nourrissaient du souffle de l'autre, cherchaient à travers des baisers passionnés à dévorer leur vis-à-vis. Ils se détachèrent pantelant pour mieux se retrouver, la symphonie qu'ils étaient les seuls à entendre étaient revenue, plus rapide, dictant une valse effrénée, désordonnée. Les percussions étaient les battements de leur cœur, les vents leur souffle, les longs doigts usés par les cordes caressaient avec la même habileté une peau à l'odeur de cannelle.

« Tu pues l'alcool, asshole. »

C'était un abandon, un adieu, mais surtout le prélude d'une nouvelle histoire.

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