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Un petit baiser atterri sur ma tempe.
Il me lache pour se diriger vers une porte sur notre droite.

Ravie de quitter cet endroit cauchemardesque, je m'empresse de le suivre.

Quand l'air frais, merveilleusement pur, fouette mon visage, je prends deux secondes pour emmagasiner tout cet oxygène. Mes poumons sont en feu d'être restés aussi longtemps en apnée.

Toujours avec sa poule en main, Clay descend les marches qui mènent à un petit jardin derrière la maison.
Je reprends vite mes esprits pour le suivre.

J'ai trop peur que sa mère surgisse de nulle part.

Je cache mes mains tremblante dans le dos, et vois Clay s'agenouiller devant une parcelle de terre.
Un autre cri d'horreur s'échappe de mes lèvres. Une, deux, trois...six pancartes blanches sont plantées dans la terre, avec toutes des inscriptions d'animaux dessus.

Clay dépose délicatement sa poule à côté de lui, puis attrape une petite pelle en acier pour commencer à creuser.

Bon dieu, est-ce que sa mère a tué tous ses animaux ?

Une profonde tristesse happe mon coeur.
Tout doucement je rejoins Clay, et pose mes genoux contre la terre froide.

Le soleil ne tape pas de ce côté-ci du jardin. D'ailleurs une autre maison en bien meilleur état que la sienne, se trouve devant nous.
Impossible que les voisins n'aient pas entendus les cris hystériques d'Erin.

—Tu vas bien ?

La question de Clay me désarçonne.
Quand je le vois enterrer sa poule, je déglutis.

—Regarde-moi, Beth.

Ses mains sont couvertes de sang, pourtant sa voix douce me perturbe.

—Est-ce que t'es aussi fou qu'elle ?

La surprise assombrit ses yeux.
Déstabilisé, il baisse la tête, et avec la pelle il recouvre le corps déchiqueté de sa poule.

—Je suis désolé que t'ai vu ça, déclare-t-il avec froideur. Ton père n'aurait pas dû te faire venir ici.

Il range la pelle dans un vieux sceau, et se lève un peu brusquement pour aller récupérer une pancarte cachée derrière des pots de plantes vides.

Est-ce qu'il a un stock de pancartes là-bas derrière ?

Depuis quand sa mère tue ses animaux de compagnie ?

Je regarde les traits crispés de Clay et sa mâchoire qui n'arrête pas de se contracter en silence. D'un geste rageur, il note « Rose » sur la pancarte avec le sang de ses doigts.

Le. Sang. De. Ses. Doigts.

Mon cœur vient de subir sa dixième crise cardiaque depuis qu'il a mis un pied ici. Maman me disait toujours qu'on ne connaît jamais vraiment les gens. Qu'il faut se méfier des apparences.

Je viens d'en avoir la preuve flagrante cette après-midi.

—Il faut que je parte, je souffle tout bas. C'est un cauchemar ici.

Tel un ressort je me relève. Je lance un dernier regard à ce cimetière macabre, avant de regarder autour de moi.

Deux pupilles marrons me fixent d'une fenêtre. En reconnaissant le col bleu de la robe d'Erin, je sursaute sur place.

Je dois partir d'ici. Je dois aller attendre mon père dans la voiture et effacer toutes ces affreuses images de ma tête.

Je me rue vers les escaliers, quand un pleur étouffé me fait stopper net.
Je regarde derrière moi et découvre Clay qui a les mains posées contre un mur, la tête cachée dans les épaules.

Est-ce que Clay pleure ?

Je braque mon regard sur la fenêtre sale sur ma droite, et le sourire maléfique d'Erin me fait face.

—Clay ! je m'écrie affolée.

—Casse-toi Beth.

Sa voix éprouvée me tord l'estomac.

Un peu perdue, je pivote dans sa direction et constate qu'il n'a pas bougé d'un pouce.
Les bras tendus devant lui, sa tête fixe le sol. Son dos est raide, ses vêtements recouverts de terre.

À ce moment précis, j'ai l'impression de revoir Clay à la plage. Quand il avait nagé au loin après le coup de fil de sa tante.

Est-ce que la jeune femme avec l'allure de garçon manqué est la sœur de sa mère ?

Est-ce que Clay vit ce drame, cette peur tous les jours ?

Sans m'en rendre compte, mes pas me ramènent à lui. Je n'entends plus de sanglots étouffés, mais je vois très bien qu'il est mal.

—Clay...? je prononce d'une petite voix.

—Va t'en Beth. Ne reviens plus chez moi.

Sa voix est redevenue dure. Glaciale même.

Je comprends alors que ma réaction de toute à l'heure a dû l'attrister.

C'est pas lui le fou. C'est sa mère.
Il survit comme il peut, il fait face à la démence de sa mère comme il peut.

Et moi je l'ai rejeté.

Un étau de culpabilité broie mon coeur.
Mais qu'est-ce que j'ai fait ?
Lui qui me demandait si j'allais bien, je l'ai traité de fou.

Je ferme les yeux pour reprendre courage et réparer mon abominable erreur.

—Clay, je suis désolée. J'ai pas voulu t'offusquer avant...J'ai paniqué...Ta mère est un peu...spéciale...et je ne m'attendais pas à vivre ce que j'ai vécu ici...

Son bras relâche le mur et passe violemment autour de mon épaule. Il me plaque d'une telle force contre son torse, que mon visage est écrabouillé.

Un pleur déchirant échoue dans mon cou. Il enfouit sa tête entre ma nuque et mes cheveux, son corps entier est pris de tremblements.

Mon souffle est bloqué. Voir Clay d'habitude si sûr de lui qui s'effondre dans mes bras, me coupe le coeur en deux.

Lentement, je glisse mes mains sous son t-shirt et de mes doigts je dessine des petits cercles sur son dos pour l'apaiser. Le sentir si démoli me fait pleurer avec lui. Sa tristesse est contagieuse, monstrueuse, et je comprends à ce moment-là que Clay a besoin de moi.

—C'est la rencontre avec ta famille la plus épouvantable de tout l'univers.

Il lache un petit rire.
Même s'il respire encore très fort et son corps tremble toujours dans mes bras, il cesse de pleurer.

Petit à petit, il relâche la pression qu'il exerçait sur mon corps, et pose ses yeux rouges sur moi. De ses pouces il essuie mes larmes, et j'essuie les siennes.

—Bienvenue dans mon univers, tente-t-il de sourire, le regard malheureux.

Black stars (Terminé)Onde as histórias ganham vida. Descobre agora