Les Faucheurs II - Maléfice Lunaire

Chapitre 19. II.

Après une longue marche dans l'obscurité de la nuit, sur les traces du loup géant, ils parvinrent enfin à une clairière, au pied d'une paroi immense et verticale de la montagne. Le calcaire était blanc, d'un blanc lunaire, tranchant avec la noirceur des arbres et la grisaille du sol. Mais ce qui attira le regard du trio, c'était bien le trou béant dans la paroi rocheuse de la falaise, semblant mener jusqu'aux entrailles de la montagne.

Lowell s'arrêta à la vue de l'entrée de la grotte. Seules les ténèbres semblaient les attendre derrière. Des ténèbres qui semblaient bien plus menaçante que le loup géant qui se dressaient aux côtés des deux faucheurs. La voix rocailleuse de la bête résonna dans l'esprit de la tueuse de monstre.

« Là-dedans.

— Tu en es sûr ?

Scarlett n'était pas très enthousiaste à l'idée de devoir s'y aventurer. Les forêts, passe encore ! Elle était une fille des bois. Mais les grottes ? Qui savait ce qu'il se cachait derrière ce voile de pénombre. Elle ne craignait pas les chauves-souris ou les serpents mais bien les créatures que la Lune avait pu créer. Malheureusement, Lowell confirma.

— Certains. Je sens les pactes, ils sont dedans. Tous.

Elle grimaça. À son expression faciale, Valentin comprit de quoi il en retournait. Le bel homme passa une main dans ses boucles brunes avant de soupirer de dépit :

— Pitié, ne me dis pas qu'il faut rentrer dans cette grotte pour récupérer les pactes...

— Très bien, je ne le dirai pas !

À priori, la blonde n'était pas la seule que l'idée de pénétrer dans la grotte n'enchantait guère.

— Lowell, vous ne rentrerez probablement pas... grimaça le fils du Patron à l'intention du loup géant.

Ce dernier lâcha un grognement sourd, frustré. Le faucheur avait raison. La bête souffla par ses naseaux et sa patte creusa le sol avec fureur. Il n'était même pas capable d'aller chercher ce qui le libèrerait. Encore une fois, il devait s'en remettre aux faucheurs. Scarlett comprit les pensées qui tourmentaient son esprit bestial et tendit une main timide vers son museau qu'elle caressa lentement. À nouveau, ce contact eut le don d'apaiser le loup géant qui finit par remercier mentalement la jeune femme. Cependant, son attention fut vite attirée par autre chose. Il venait de percevoir une autre senteur dans l'herbe et une présence hostile.

— Nous ne sommes pas seuls, prévint Lowell.

Comme pour confirmer ses paroles, un frémissement agita les fourrés qui poussaient devant l'entrée de la grotte. Les faucheurs portèrent automatiquement la main à leurs armes. Des buissons épineux, jaillirent soudain des dizaines de monstres de la Lune, animaux. Scarlett se tendit.

Au premier abord, ces créatures semblaient être des galipotes, ces êtres semblables au loup-garou sur certains aspects mais pourtant différents. Hirsutes, l'apparence bestial, elles arboraient de longues griffes recourbées tandis qu'elles jaillissaient des ténèbres, ventre à terre, dévoilant leurs crocs pointus. Certaines ressemblaient à des loups, d'autres à des chiens errants ou encore à des renards. Il se murmurait que les galipotes étaient d'ancien être humain victime d'un maléfice, semblable à celui dont Lowell était frappé, lancé par une sorcière. C'était ainsi qu'elles semaient le chaos. Malheureusement, leurs sortilèges étaient irréversibles.

Pourtant, ce qui perturbait la faucheuse était le comportement de ces galipotes. Jamais elles n'attaquaient en groupe et surtout, leur lieu de chasses privilégié était les routes sur lesquelles elles pouvaient s'attaquer aux voyageurs en sautant sur leur dos pour les étouffer et les dévorer. Qu'elles se trouvent en pleine forêt n'avait rien de normal ou d'habituel. Scarlett le savait, elle en avait chassé de nombreuses.

— Elles obéissent à l'appel de la Lune, comprit-elle.

— Cette connasse de déesse ne veut vraiment pas nous foutre la paix ! grommela Valentin. Comment s'en débarrasse-t-on ?

Le fils du Patron était sur ses gardes, prêt au combat. Tout comme Lowell qui avait adopté une posture agressive, les poils hérissés et les babines retroussés. Sa grande taille intimida peut-être les galipotes mais ils ne s'en allèrent pas pour autant. L'immortelle rangea son pistolet avant de tirer lentement la hache de bûcheron qui lui était apparue par magie, la veille.

— On leur coupe la tête.

Et alors qu'une espèce de renard mutant se jetait sur elle, toutes griffes dehors, s'agrippant à ses épaules, la jeune femme roula au sol, se débâtant pour se débarrasser de son assaillant, donnant des coups de lame. Elle parvint à reprendre le dessus et tua la galipote, tranchant la gorge velue de l'animal maudit. Elle se releva, tachée par le sang de la bête. Son regard balaya la clairière d'un geste circulaire. Sous l'œil muet et complice de la nuit, ses compagnons étaient en proie aux mêmes difficultés qu'elle, attaqué de toutes parts par les créatures de la Lune qui bondissaient sur eux, dans le but de les stopper.

Du coin de l'œil, elle aperçut Valentin qui usait sans la moindre hésitation ses dons pour se débarrasser de ses assaillants. Une galipote luttait contre une racine qui venait de jaillir du sol pour la bloquer. Scarlett n'eut pas le temps d'admirer plus longtemps les dons surnaturels du tueur de sorcières. Une douleur vive au niveau de sa cheville se fit ressentir. Un simulacre de chien qui aurait pu donner des cauchemars même au plus fervent ami de la race canine venait de mordre en plein dedans. Furieuse, la jeune femme lui donna un coup de pieds puissant qui vit voler la galipote dans un glapissement de fureur. S'occuper de ces créatures véreuses et déterminées à les stopper, armée d'un simple couteau de cuisine, agaçait profondément la blonde. Le temps leur était compté et minuit approchait à grand pas de loup.

Elle était tachée de sang, éreintée, blessée et surtout, elle commençait à perdre patience. Et l'entrée de la grotte semblait toujours autant inaccessible.

Soudain le fils du Patron se métamorphosa en un vol de corbeau, un pouvoir d'une rareté extrême. Il décolla dans les airs, échappant de justesse à la meute de galipote avant de fondre sur elle à nouveau, toutes serres dehors. Ses coups de bec furieux firent fuir deux loups maladifs que Lowell attrapa au passage et décapita d'un coup de croc féroce. Valentin, toujours sous la forme d'un vol de corbeau, puisait dans son totem la force nécessaire pour combattre les créatures de la Lune alors même qu'il était démultiplié.

Scarlett se débarrassa d'une autre de ses assaillantes, reprenant son souffle avec difficulté. Ils s'épuisaient à combattre les galipotes et n'avançaient pas d'un pouce. Agacée, elle grogna :

— Il faut qu'on entre, le temps presse !

Le faucheur se matérialisa à nouveau à ses côtés dans une volée de plumes noires.

— Vas-y Scar ! Nous allons les retenir.

Elle ne se fit pas plus prier. Se saisissant de la torche que Val venait d'enflammer juste par la pensée, elle tenta de chasser une des galipotes qui essayait de lui barrer le passage. À présent, elle en était certaine, elles étaient contrôlées par la Lune pour les empêcher d'atteindre le pacte et de le détruire. Malheureusement, celle qui lui faisait-face, une immense chienne enragée semblait déterminée à ne pas laisser passer la faucheuse. Elle semblait ne pas craindre le feu, au grand dam de Scarlett qui n'avait vraiment pas le temps de couper une autre de ces hideuses gueules. Alors qu'elle dû s'y résoudre, un loup géant bondit sur la galipote, l'écrasant de tout son poids et poussant un hurlement prédateur. Lowell ! Le monstre ouvrit la gueule avant de refermer sa mâchoire puissante sur l'encolure de la chose, la tuant sur le coup. Relâchant la tête molle de la galipote, il tourna son immense museau vers Scarlett qui le dévisagea, encore stupéfaite par son intervention.

L'espace d'un bref instant, ils se regardèrent l'un l'autre, laissant le silence communiquer ce que les mots ne pouvaient. Puis enfin, Lowell s'écarta du chemin pour laisser la voix libre à l'immortelle.

- Libère-moi... »

Ce furent ses seules paroles. Le petit chaperon rouge hocha affirmativement la tête, d'un signe entendu.

Elle le libèrerait.