Chapitre 3

60 7 0
                                    


1er septembre 1881

Eveus Bernier, patriarche de la riche famille d'ensorceleurs, rangea un carnet en cuir dans son bureau. Fait rare, il souriait. Ses familiers étaient revenus avec d'excellentes nouvelles. Debout derrière lui, son fils, Alastair, attendait patiemment. Son aîné finit par prendre la parole.

— Tout se déroule à la perfection, encore mieux que ce que j'avais espéré. Le vase que nous avions maudit a bien atterri dans les mains du président Jules Grévy. Et il vient de m'être confirmé que le sort s'était correctement activé. L'esprit de cet humain était bien plus malléable que ce que nous avions prévu.

— Est-il déjà sous notre contrôle ?

— Oui. Désormais, nous allons agir en toute discrétion afin que personne ne se rende compte de rien. Nous pourrons entamer les préparatifs dès le début de l'année 1882.

— Pas avant ?

— Non. Nous ne pouvons pas prendre trop d'avance, puisque nous devons attendre le retour d'Archibald l'été prochain. Ses pouvoirs seront nécessaires pour le bouquet final.

— Penses-tu qu'il sera capable de lancer ce sort ?

Eveus caressa les cartes de tarot qui ornaient la table en bois.

— Il en a la puissance. Sa survie est toutefois incertaine.

Alastair haussa les épaules et attrapa le cigare que lui tendait son père.

— Cela n'a guère d'importance. Mathilda peut me donner des petits-enfants. Et, dans le pire des cas, nous chercherons un nécromancien. Une fois notre but atteint, Archibald sera devenu bien moins nécessaire.

— Ne souhaitais-tu pas lui trouver une épouse afin qu'il nous fournisse un puissant héritier ? Je doute des capacités de ta fille.

— Cela serait l'idéal. Mais il doit lancer ce sort en priorité. Et puis, avec de la chance, l'enfant de Mathilda héritera du potentiel global de la famille et pas seulement du sien... Je me demande encore comment Mary et moi avons pu créer un être aussi faible.

Eveus acquiesça d'un hochement de tête. Cette bataille, les Bernier la gagneraient. Ni les autres clans d'ensorceleurs ni le sorcier qui trainait en ville ne pourraient rien y faire. Quant aux humains et aux magiciens, n'en parlons même pas. La grande Récolte aurait lieu. La guerre aussi. Alastair sortit le patriarche de ses douces pensées.

— Et pour les quelques druides qui demeureront cachés ?

Le vieillard sourit.

— Ne t'en fais pas, fils. J'ai tout prévu.

**

Xezhul Kane rangeait le dernier grimoire qu'il était parvenu à acquérir au marché noir, un ouvrage rare qui lui avait coûté six mois d'économies. Unique sorcier de la ville, voire de la région, une discrétion sans faille était, à l'heure actuelle, son seul moyen de survie... Du moins jusqu'à ce qu'il soit en position de riposter contre une puissante attaque.

Dix ans auparavant, il avait conclu un pacte avec la démone Alrinach, reine de la pluie, des inondations et des tremblements de terre. Depuis, il s'entraînait sans relâche et perfectionnait la maîtrise de ses nouveaux pouvoirs. Il sentait que le moment qu'il avait tant attendu s'approchait à grands pas ; et il ne disposerait que d'un essai. S'il venait à rater son sortilège le plus puissant, il aurait offert son âme en vain et mourait probablement dans d'atroces souffrances. Après la guerre de 1620 où l'Église et les ensorceleurs s'étaient associés pour assassiner tous les sorciers d'Europe, rares étaient les humains qui prenaient encore le risque de le devenir. À quoi bon vendre son âme, si c'était pour passer le reste de ses jours cachés ?

Paris n'existe plusWhere stories live. Discover now