Chapitre 20

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Strophia souriait, satisfaite d'avoir surpris l'ensorceleur. Ce dernier lui jeta un regard mauvais et empli de colère, bien qu'il soit trop épuisé pour l'insulter.

— Que veux-tu ? Je croyais que toi et tes sœurs adoriez danser sur les cadavres.

Elle rit.

— Elles sont en ville et s'y amusent en ce moment même. Quant à moi, j'avais quelques petites choses à faire avant de les rejoindre.

— Fiche-moi la paix. Je n'ai plus la force de lutter contre quoi que ce soit.

La nymphe se pencha vers lui.

— Tu es là pour mourir, non ?

— Ouais. Qu'est-ce que ça peut te faire ?

— Je suis encore frustrée que tu m'aies échappé la première fois. Alors je me suis dit que peut-être, au lieu de te suicider de façon horrible en t'enterrant vivant, je pourrai tout simplement t'assassiner comme j'ai toujours eu envie de le faire. Chacun de nous y trouverait son compte. Qu'en dis-tu ?

Archibald soupira et regarda la main inerte de son époux.

— J'accepte. Je veux juste en finir.

Il s'allongea et attrapa la main du druide.

— Strophia... Puis-je te poser une question avant de mourir ?

La nymphe sautillait sur place et jouait avec ses cheveux.

— Oui, je ne suis pas pressée, je suis immortelle.

— Il y a quelques années, lorsque j'ai feint mon décès et que j'étais blessé... Tu m'avais dit que le futur serait sombre. Que cela signifiait-il quoi ? Que cette fin horrible était déjà écrite ? Que notre destin était tout tracé ?

Elle s'assit au bord du trou et joua avec sa robe.

— Absolument pas. Il existe des tas de possibilités, en fonction de tes choix. Mais pour toi et ton druide, je n'avais perçu aucune fin heureuse.

— Comment ça ?

— J'aurais pu te tuer avant qu'il ne te rencontre. Tu aurais pu rentrer chez toi après ton année à Paris ou Lawrence aurait pu regagner son village après la lettre de ses parents. Pour chaque option, une existence un peu variable, mais soit vous n'aviez pas le temps de vous aimer, soit l'un de vous mourait, soit vous deux. À différents moments certes, mais au final, votre histoire, n'a jamais droit à sa fin heureuse.

Archibald tenta d'assimiler ces horribles informations. Pourquoi tant d'injustices ? Était-ce parce qu'un druide et un ensorceleur n'avaient rien à faire ensembles ? Ou parce que leurs dieux se détestaient sans qu'ils ne le sachent ?

— Et dis-toi que tu n'as pas eu la pire des fins.

— C'est une blague ?

— Pas du tout. Dans la majorité des cas, vous n'avez même pas le temps de vous marier. Et ton oiseau est tué par ton père des années auparavant.

— Je vois...

Strophia sauta dans le trou et s'agenouilla près de sa future victime.

— Encore une question ou nous pouvons en finir ?

— Juste une dernière chose... Sais-tu s'il existe un cas où Larkin et moi on est heureux ?

— Oui. Il y en a un. Un seul et unique, mais il s'agit d'un avenir terriblement lointain, mais surtout dans un autre Paris, un monde alternatif où la magie n'existe pas. Toutefois, je ne sais vraiment pas ce que peut valoir ce genre de vision.

Archibald sourit enfin.

— Peu m'importe l'univers, l'endroit ou le lieu. Peu m'importe qu'il y ait de la magie ou pas. Je veux juste le revoir. Je veux juste que, cette fois, notre fin heureuse, on puisse l'avoir.

Il ferma les yeux et fit signe à Strophia qu'il était prêt, d'un hochement de tête. Elle sourit et lui arracha le cœur si rapidement qu'il n'eut pas le temps de souffrir. La nymphe replaça ensuite l'organe et enterra correctement les deux amants ainsi que leur oiseau. Décidément, cette famille atypique l'aura bien distraite et elle était déçue de les voir déjà disparaître.

Strophia déposa des fleurs sur les tombes puis y planta deux branches. Satisfaite de son œuvre, elle rejoignit ses sœurs en ville afin de danser sur les cadavres des humains, leurs pieds nus éclaboussant l'eau sanguinolente. Elle ne remarqua même pas les deux oiseaux inorganiques qui sanglotaient sur la sépulture, les âmes d'un certain couple de druides pleurant désormais leur fils en plus de leur condition.

**

15 mars 1887

La France était dévastée. Une capitale réduite à néant, un président, un gouvernement et un roi décédé. Beaucoup trop de morts. La Seine ensanglantée et les centres de recherches complètement détruits. Une créature mythologique gisant en plein milieu des débris. Comment reconstruire le pays, par où commencer ? Et que faire de la peur de millions de Français qui soudain découvraient une horrible vérité ?

Alors que l'ère de la technologie et de la vapeur était à son paroxysme, il ne restait plus rien. Pourquoi avaient-ils tout centralisé dans la capitale ? Plus d'archives, juste des cendres. Plus de scientifiques, juste des cadavres. L'aide des pays voisins serait probablement nécessaire, mais l'avenir paraissait bien nuageux et incertain.

Par sécurité, ensorceleurs et sorciers étaient désormais considérés comme ennemis de la nation et leur art interdit dans l'Europe entière. Quant aux mages, il fallait à présent un certificat spécial et seuls quelques individus, triés sur le volet, pouvaient pratiquer la magie. Et les druides... Quels druides ? Personne n'en avait jamais entendu parler...

**

3 avril 1887

Félix Faure avait été élu président, car il était le seul membre du gouvernement encore en vie. Par chance, il avait été en vacances dans sa résidence secondaire lors du drame. Il prit d'ailleurs la décision de déplacer la capitale française dans la ville de Lyon et de tenter de recommencer la recherche, bien que tous savaient que la France serait à jamais en retard.

Ce jour-là, chaque Français reçu un journal avec, à la Une le titre « Paris n'existe plus ».

Parce que plus jamais l'ancienne capitale ne fut touchée. Selon les rumeurs, l'endroit serait devenu source de contamination à cause des corps qui n'avaient jamais été enterrés. D'autres disaient que les coûts étaient bien trop élevés pour dégager l'intégralité des gravats et reconstruire toute la ville. Le Louvre, la tour Eiffel, le Palais du Trocadéro ou encore l'Arc de Triomphe... Tant de monuments dont les générations futures n'entendraient jamais parler et ne verraient que de vagues photographies en noir et blanc, si bien est qu'il en existât encore. Toutefois, on dit que si l'on osait s'approcher suffisamment près, il existait une seule maison intacte, une maison en forme de théière, sur laquelle deux hommes se tenaient la main, un petit oiseau posé sur l'épaule de l'un d'eux.

Paris n'existe plusWhere stories live. Discover now