UN [REECRIT]

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~ Quelques minutes plus tôt ~

Tayla

— Eh merde !

Ce juron provenant du fond de la pièce m'arracha à mes pensées. Ce n'est qu'à ce moment-là que je réalisai que mes mains agrippaient la table en bois devant moi. Si fermement qu'elles en perdaient leur couleur naturellement basanée. J'inspirai une bouffée d'air et tâchai tant bien que mal de me détendre. Je jetai des regards furtifs aux alentours.

Ah oui, un café. Ce lieu avait été presque désertique quelques minutes plus tôt, c'est pourquoi j'en avais profité pour m'autoriser à faire une pause dans ma cavale... avant d'être encore une fois happée par le même souvenir. Des flammes, un choix, deux morts. Je soupirai. Toujours le même. Celui qui me hantait depuis des mois. Celui qui avait changé ma vie à jamais.

Je glissai un regard vers la source du bruit qui, par miracle, avait réussi à me sortir de la noirceur dans laquelle me plongeaient les souvenirs de ma vie d'avant. Deux adolescents jouant au billard. Je haussai les sourcils, surprise. Une vingtaine de minutes plus tôt, ils avaient pourtant été assoupis dans le fond de la pièce. Je ne les avais même pas entendus se déplacer. Je me mordis la langue pour éviter d'être grossière. Ah, je détestais tellement quand j'avais des absences de la sorte ! Ce n'était pourtant pas le moment de baisser la garde ! Mais bon, comme à chaque fois, je dus m'y résoudre. Encore quelque chose que je devais au tragique accident que j'avais eu plus jeune. Vestiges contre lesquels je ne pouvais rien.

Je venais d'avoir sept ans, à l'époque. Avant ça, c'était le vide, aucun souvenir. Je me rappelais encore de mon réveil à l'hôpital suite à cet évènement et à quel point il avait été frustrant. J'avais tout oublié, même des tâches basiques comme me brosser les dents ou manger avec des couverts. Puis il y avait eu ces regards perplexes et un tantinet effrayés que j'avais senti rivés sur moi. « Une miraculée », disaient-ils. Je pinçai les lèvres, tentant de masquer la douleur poignante qui s'associait à ce souvenir. Eh, oui, j'avais miraculeusement survécu. Mais pas sans séquelles... Je m'étais réveillée orpheline.

Je voulus passer à autre chose en portant mon regard ailleurs. Toutefois, pour une raison inconnue, mes yeux restèrent scotchés sur les individus devant moi. Une fille, et un garçon. Tous deux à la tignasse brune et aux styles différents. L'une aux vêtements et maquillage sombres, l'autre au style rétro années 90 très soigné. Songeuse, je les scrutai longuement. J'observai leurs yeux pétiller sous l'amusement, leurs lèvres s'étirer d'un sourire franc, et leur chevelure valser sous le mouvement de leurs tapes et chamailleries amicales. Ils ne cessaient de se taquiner et pourtant, derrière leurs piques se cachait une complicité si bienveillante. L'un fit une remarque sur les « capacités à perdre » de l'autre, ce à quoi l'une répondit en lui tirant la langue. Puis tous deux s'esclaffèrent à gorge déployée, soudain pris d'une hilarité contagieuse. Le visage du garçon s'ourla d'un sourire, sous les yeux scintillants de la jeune fille. Ils étaient heureux, si... insouciants.

Je détournai vivement le regard. Tu te fais juste du mal, Tayla, me repris-je mentalement. Ils me rappelaient tellement la relation que j'avais pu avoir avec mon meilleur ami. Evan. C'était lui que j'avais choisi de sauver ce jour-là, lors de cette soirée d'Halloween qui avait viré au cauchemar. Acculée par les flammes, j'avais accepté l'accord de ce psychopathe. Un buveur de sang, aussi connu sous le nom de Vampire. Et celui qui s'était présenté comme « le plus redouté de tous », en plus !

Il ne m'avait pas vraiment laissée le choix, en fait. Ça avait été ça, ou rien. Ça, ou une mort pour nous tous, brûlés par les flammes. Et pourtant, cela n'avait servi à rien, Evan avait perdu la vie dans les heures qui avaient suivi. C'était suite à cela que j'avais pris cette décision : fuir. À jamais. Et prier pour que cet être effrayant oublie cette histoire de pseudo « accord ». Sauf que ça n'avait jamais été le cas, bien sûr. Il n'avait cessé de retrouver mes traces. Toujours et encore. Et, à chaque fois, ses menaces montaient en intensité. Pour m'intimider. Et me rendre folle, oui ! persiflai-je intérieurement. Du moins, ça avait toujours été le cas. Le même schéma d'action.

Jusqu'à maintenant.

Je me mis à triturer frénétiquement la cuillère à côté de ma tasse de café, anxieuse.

Cela faisait deux mois, à présent. Deux mois sans interventions de sa part, sans « visites-menaces » appuyées d'une scène sanglante pour me tourmenter. Il n'y avait eu que moi, hantée par la possibilité qu'il me retrouve et que la mort m'entoure à nouveau. Je ne savais jamais quand cela allait tomber. Et, étrangement, quelque chose me disait que le fait qu'il ait cessé cela pendant aussi longtemps n'annonçait rien de bon.

Oh que oui, cet homme n'était pas près de lâcher l'affaire.

Après tout, il avait parlé de « Pacte ».

Un frisson me parcourut l'échine à cette pensée et je me redressai brusquement.

Je ne pouvais plus rester en place, j'étais beaucoup trop à cran. Tout cela ne m'inspirait rien de bon...

Il valait mieux que je reprenne la route.

***

Dès l'instant où je posai un pied dehors, je fus frappée par la fraîcheur ambiante. Mais il n'y avait pas que ça, un autre élément attira mon attention. Je me tendis, à l'affût. Un silence pesant aurait dû régner dans les rues étroites de ce quartier reculé de Miami, loin des spots lumineux des restaurants et boîtes de nuit. Pourtant, j'aurais juré avoir entendu un grincement. Je ralentis le pas en tendant discrètement l'oreille. Quelque chose me disait que je n'avais pas rêvé.

Et tout portait à croire que ça n'était pas bon signe. Je me trouvais dans un coin calme et reculé du centre-ville. À cette heure-ci, pas un bruit n'aurait dû se faire entendre. J'avais tout calculé dans les moindres détails : le café exigu dont je provenais était un lieu d'accueil discret, bien dissimulé entre des épiceries fermées, et n'était connu que par une poignée d'individus. Les rares personnes qui le fréquentaient y utilisaient ses services d'hôtes réalisés en sous-main et restaient en général jusqu'au lendemain. Donc personne n'aurait dû se trouver à proximité. Seul le souffle du vent aurait dû régner en maître. Aucun autre sifflement, grésillement... Seule. J'aurais dû l'être. Pourtant...

C'est au bout de quelques mètres de marche que je la sentis : cette déplaisante sensation d'être suivie.

Puis, soudain, un élément attira mon attention. Posée là, sur le rebord d'une fenêtre condamnée, se trouvait ce qui semblait être une... rose ?

Je me pétrifiai d'horreur.

Une rose blanche parsemée de sang.

— Non...

Ce symbole, c'était sa signature. La signature du Vampire qui me traquait. Une manière bien à lui de me faire comprendre qu'il m'avait toujours à l'œil.

Comme si cela ne me suffisait pas, un bref frisson de dégoût me parcourut l'échine. Mes poils hérissés me parurent soudain électriques, dégageant une énergie lugubre qui m'était désagréablement familière. Mon pouls s'emballa. Je connaissais par cœur ce sentiment. Un ennemi. Un ennemi avait envahi mon espace vital.

Il était là.

L'instant d'après, une douce brise agita les boucles brunes de mes longs cheveux, puis un fracas métallique résonna, au loin. Une peur glaçante se fraya un chemin le long de mon épine dorsale.

Il n'en fallut pas plus pour réveiller mon instinct de survie et déguerpir à grandes enjambées. Je me faufilai avec agilité entre les ruelles, sans une seule fois regarder en arrière, de peur de ne pas apprécier ce que j'y verrais. Mon instinct me soufflait ce qui s'imposa comme une réalité à mon esprit : il était de retour. Ça ne pouvait être que lui.

Mon rythme cardiaque monta en flèche alors que les mots glaçants de mon persécuteur me revenaient en mémoire : « Une vie contre une vie ». Je frémis.

Plus le temps passait, plus j'en venais à me demander si, effectivement, je n'avais pas fait un pacte avec le diable.

Intuitivement, j'accélérai le pas.  

1 - Vampire's Pact : The Dangerous Spirit Bound - [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant