Chapitre 13. I.

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« Il tourne en rond notre beau bateau,
Il tourne en rond trois fois.
Il tourne en rond notre beau bateau,
Et tombe... au fond.... de l'eau !
PLOUF ! »

Comptine pour enfant.

*

Les vagues roulaient contre le sable noir. Dans un bruit éternel, une mélodie grondante, elles avalaient la terre, s'élançaient, comme si elle voulait grignoter un peu plus de terrain à chaque fois, avant de reculer, de battre en retraite et de retourner à l'immensité marine.

Et ce ballet océanique se répétait inlassablement.

À l'écume, se mêlèrent soudain des débris, des bouts de bois, des morceaux de voiles déchirés. Les vagues apportaient sur leur dos rond le petit bateau malmené et en mauvais état, le tirant sur la plage de cet îlot perdu en pleine mer du nord. L'embarcation s'y échoua, glissant sur le sable avec une légèreté déconcertante.

Erik sauta au sol avec agilité. Gelé malgré sa résistance surhumaine, il recula de quelques pas. Son cœur se serra dans sa poitrine, douloureusement, alors qu'il constatait les dégâts. Les tentacules du Kraken avaient laissé des traces irréparables de leur passage. Le faucheur esquissa une grimace de dégoût alors que ses bras les démangeaient soudain. Là, la coque était complètement fendue. L'eau qui s'y était engouffrée alors qu'il luttait pour ne pas partir à la dérive, s'en échappait à présent, par flot, comme le sang se déverserait d'une plaie béante.

La Lorelei, son embarcation si précieuse avait été éventrée.

Voilà l'image que cela lui évoquait.

Un arrière-goût amer en bouche, il écarta les bras, gagné un bref instant par le désespoir.

Il était coincé sur un caillou, perdu en pleine mer de Norvège, le temps était plus glacial que les baisers de la mort et son navire n'était plus qu'une épave.

La frustration gagna son cœur avec la même hargne qu'un raz de marée. Un raz de marée qu'il aurait mille fois préféré affronter à la place du monstre de cette nuit. Tout n'était qu'un véritable cauchemar autour de lui. Un cauchemar éveillé.

S'il s'agissait là d'une façon de tester sa détermination par les déesses, c'était de très mauvais goût.

Erik esquissa un rictus amer avant de laisser enfin exploser sa rage et de lâcher un grognement qui résonna dans l'air gelé. D'un coup de pied, il brisa un des débris de bois qui parsemaient la plage, champ de fleur du déluge... La fureur grondait en lui avec la même force qu'une tempête.

« Désolée pour ton bateau.

Il fit volteface brusquement, retrouvant toute la pleine possession de ses moyens.

Debout, vêtue d'une étrange chemise noire sortie de nulle part, la sirène le toisait. Ses longues jambes se découpaient, nues tandis que ses pieds étaient dissimulés par le sable noir. Ses cheveux noirs, méchés de roux, s'envolaient autour de son visage, balayés par le vent. Son apparence ainsi changeante ne pouvait s'expliquer que parce qu'elle ne reflétait que ce que le faucheur désirait. Une chose dont lui-même n'était pas sûr. Alors elle oscillait entre la petite rouquine et la longiligne créature de ténèbres. Les yeux jaunes de Meredith le fixaient, imprégnés d'une neutralité qu'Erik ne parvenait pas à percer.

Finissant par rompre le silence qui avait suivi les mots de la femme, il laissa échapper un ricanement amer avant de rétorquer, gagné par une profonde lassitude :

— Tu n'es pas désolée du tout, Mer.

Bien qu'il reste sur ses gardes, le tueur de monstre n'avait plus l'énergie de quoique ce fut. Il venait d'affronter un kraken et de frôler la mort. Et même s'il aimait sa déesse, il ne se sentait pas en lui l'envie de la rejoindre de sitôt. Tout ceci avait fini d'achever toute sa carapace d'amertume. Il assistait, morne, au spectacle de la sirène qui, sans bouger, haussa lentement des épaules avant de souffler, avec lenteur, paraissant elle-aussi soudain bien épuisée :

Les Faucheurs III - Chant MortelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant