Les Faucheurs III - Chant Mortel

Chapitre 3. I.

« De toutes les créatures marines, craignez les sirènes. Sorcières des mers, poisson du diable, ce sont elles qui vous mèneront vers la mort. Leur chant est funèbre. C'est la dernière chose que vous entendriez si vous cédez à leur baiser. »

Extrait du Répertoire de la sorcellerie depuis le commencement à nos jours par Valentinus, premier du nom et fondateur de l'ordre des faucheurs, Chapitre IV. Monstres et créatures.

*

Jamais la mer ne lui avait manqué à ce point.

Erik ne rêvait que d'une chose, emprunter son chalutier et quitter pour toujours ce rivage sombre et désespéré. Voguer au grès des vents, balloté par les flots, n'ayant pour toute compagnie que les mouettes dans le ciel et les poissons au cœur des mers... Lutter contre une tempête déchainée, dériver sous un soleil de plomb, sentir contre sa peau que le sel et le soleil ne brûlaient plus la fraîcheur de l'air marin... Être seul, seul mais heureux, seul mais lui-même, loin des malheurs et des morts. Au plus près de ce qui était jadis sa vie... Ne respirer que cet air pur et salé et non plus l'âcre atmosphère polluée de cette époque qu'il abhorrait. Il avait vu le monde se détruire et l'homme salir tout ce qui était beau, tout ce qui était pur... Et tout particulièrement les océans. Il avait vu son havre de paix se transformer en poubelle géante, ses poissons mourir le ventre plein de plastique et ses oiseaux... Ses fiers et majestueux oiseaux d'un blanc semblable à l'écume se tâcher d'un noir pétrole.

Voilà le monde qu'Erik se devait de défendre des monstres et des sorcières. De défendre de la Lune. Un monde en proie aux guerres, à la misère... Ces hommes, qu'il devait protéger, concourrait eux-mêmes à leur fin. C'était triste, c'était cruel. Cependant, malgré l'état catastrophique de la Terre, l'Immortel continuait. Pour l'espoir, cette chose fragile et pourtant magnifique à la fois. Un faucheur sans espoir était un faucheur mort. Et Erik, loin de laisser sa raison l'entraîner vers le pessimisme continuait d'espérer en tout ce qui était humain. Il y avait partout, aux quatre coins du globe, des raisons de continuer à se battre. Le jour où il n'y en aurait plus, il irait se noyer, rejoindre tout ce qui fut sien par le passé...

Tout...

Son royaume.

Sa vie.

Sa couronne.

Son cœur...

Absolument tout...

L'ancien roi secoua la tête. La fraîcheur du vent le ramena sur terre. Face à lui, la forêt qui dissimulait en son sein le manoir des faucheurs s'étendait à perte de vue. Sous les rayons du soleil doré, les feuilles étaient semblables à des émeraudes perchées loin au-dessus des hommes. L'homme avait eu le temps d'apercevoir, durant sa transe contemplative, quelques esprits de la forêt que sa présence ne dérangeait plus. C'étaient une ombre par-là, un murmure par-ci, puis un bruissement dans les fourrés. Il n'avait pas cherché à savoir plus. Le bois leur appartenait plus à eux qu'à lui. Il priait au fond de son cœur pour que cet endroit, paisible et serein, ne connaisse jamais la pourriture de la Lune pour se métamorphoser en bois aux sorcières, ces lieux où pullulait l'horreur. Mais cet endroit était protégé par la Mort et les faucheurs. Seul un mal suprême pourrait le ronger et le réduire à néant.

Le tueur de monstres rejeta un instant la tête en arrière, savourant l'éphémère chaleur du soleil sur ses bras dénudés, couverts de tatouages en tout genre. Il lui semblait que l'encre prenait vie sur sa chair et entamait une danse joviale, semblable à celle qui se dansait autrefois dans sa petite île au nord du Danemark. Pêcheurs et guerriers dansaient main dans la main avec les riches matrones et les filles du peuple. Et la musique raisonnait, forte, puissante, vikings. Jusque dans leur sang, ils l'étaient. Erik avait été élu roi par les guerriers qui le suivaient, parce qu'il était fort, intelligent et juste. Et que c'était un marin hors pairs. Les drakkars qu'il avait mené, fièrement attachés à la falaise, avaient été le témoignage de ce don qu'il possédait. Celui de mener les hommes.