Chapitre 7. I.

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« Voguez, voguez, voguez, pauvres marins. La nuit vous verra sombrer, disparaître avant le matin.
Pleurez, pleurez, pleurez, pauvres hères. Mais vos larmes seront aussi salées que l'eau de la mer.
Priez, priez, priez, pauvres fous. Des brebis, vous serez, les sirènes se feront loup. »

Poème Les sirènes, auteur inconnu (moi)

*

L'océan était d'encre sous la voute nocturne. Le noir du ciel se perdait dans celui de l'eau et il était impossible de délimiter la frontière entre ces deux immenses entités, mouvantes... Les vagues remuaient la surface, et le reflet de la ronde lune semblait se mouvoir à leur rythme. Les étincelles argentées frémissaient de pair avec l'ondée grondante.

L'océan lui-même était devenu nuit et la Lune et son reflet régnaient en maîtres incontestés.

Troublant la surface cette vaste mer d'un noir pétrole, Meredith émergea des flots, bercée par les vagues. Ses yeux jaunes luisaient dans l'obscurité, semblables aux étoiles dans le ciel.

Ses sœurs s'étaient dispersées aussitôt que leur aînée le leur avait ordonné, retournant à leurs activités marines. Megane, la plus futée d'entre elles malgré ses silences paresseux, s'était tout de même attardée auprès de la sirène pour lui souffler :

« Dis-moi chère sœur, pourras-tu résister à l'appel de la Mort ?

La question avait surpris Meredith qui avait deviné bien vite les intentions de sa cadette et ce à quoi elle se référait.

— Qu'entends-tu par-là, Meg' ?

— C'est une trompeuse, elle aussi. Elle sait comment nous appâter.

Megane avait raison sur ce point-là. La Mort savait faire des propositions alléchantes. Elle n'avait rien à envier à la Lune en matière de stratagème.

— Que pourrait-elle me promettre ?

— Les sirènes ne sont pas des monstres comme les autres. Peut-être ne sommes-nous pas humaines mais... Nous avons des sentiments. Nous avons des failles. S'il est difficile d'appâter l'avide méchanceté de Morgane ou la sournoiserie de Melissandre, il est plus simple de jouer avec la voracité de Marina ou... ou la recherche du plaisir pour Melusine. Quant à toi, Mer, dur est de savoir ce qui te tente. Mais la Mort trouvera.

Meredith avait ri. Les Faucheurs étaient persuadés que leur déesse était celle du bien, celle qui se plaçait du côté des vivants et des mortels là où l'astre lunaire n'était que noirceur et maléfice. Pourtant, la frontière se brouillait entre les déesses, partagées entre l'envie de vengeance et l'orgueil. Les Faucheurs étaient d'aveugles pantins. Les sorcières et les monstres étaient peut-être conduits par une main de fer mais aux moins étaient-ils conscient de tous leurs actes du début à la fin. De la première goutte de sang versée au dernier massacre qui noircissait leurs cœurs.

— Pour une déesse qui se prétend juste, elle utilise bien trop les tactiques de notre vénérée Lune.

Megane n'avait pu empêcher son sifflement moqueur :

— La Mort est cruelle.

Ce à quoi son aînée avait répondu, vaniteuse de la tête aux écailles :

— Tant mieux, je le serai tout autant. »

Pourtant la mise en garde de sa sœur tournait en boucle dans le crâne de Meredith alors qu'elle laisser les flots tumultueux de l'océan la balancer au rythme des vagues. La Mort était déjà parvenue à la tenter jadis. Mais elle avait échoué. Il était certain qu'elle mettrait à mal la vilénie de la servante de sa rivale une fois encore. Restait à voir si elle réussirait. Au fond d'elle, la sirène savait que sa mission se révèlerait ardue.

Les Faucheurs III - Chant MortelOù les histoires vivent. Découvrez maintenant