Je m'ennuie.
La chaleur est étouffante. Cela fait plus d'un mois qu'il n'a pas plu. Je m'ennuie. Et dire que toute l'année, on rêve de vacances. Enfin, la plupart des gens sensés. Parce que je suis tout sauf sensée.
Je m'ennuie.
Si vous me rencontrez un jour, vous me verrez peut-être comme la-fille-qui-a-un-prénom-de-vieux, ou l'ado-bizarre. Vous vous trompez. J'ai peut-être un prénom bizarre, mais je ne suis pas une adolescente. C'est comme ça, j'ai loupé une étape de la vie, et certains penseront que c'est pour ça que j'ai un grain.
Je m'ennuie. J'ai chaud. Mon débardeur trempé de sueur me colle à la peau.
Soudain, je suis prise par une envie d'un grand verre d'eau fraîche. Je me lève de mon hamac en chassant Pistou. Ce gros chat à la petite tache brune sur le nez est aussi bête que mes pieds. Par exemple, l'hiver, il se frotte au chauffage éteint et non à la cheminée qui crépite.
Cette ambiance paisible de sieste, la maison silencieuse, j'adore. On a envie de passer l'après-midi allongée sur le canapé. Mais au bout de deux semaines de canicule, je dois bien avouer que je commence à me lasser de cette impression d'être engluée dans la paresse.
Je rentre sur la pointe des pieds, pour ne pas réveiller Laure qui dort. Marie, elle, jardine derrière la maison.
Je me sers un verre d'eau, et m'assois devant le buffet. Mon cahier de vacances traîne un peu plus loin. Je l'attrape, même si je n'ai pas, mais alors pas du tout envie de continuer mes fractions décimales, - je déteste les maths - c'est la meilleure chose que j'ai à faire.
Quelques minutes plus tard, de la fumée commence à sortir de mes oreilles. Je crois qu'il est temps d'aller voir Lyla.
Je sors, suivie de Pistou. Je sais que je n'ai pas besoin de prévenir mamans, elles savent que je ne suis pas là, je suis chez Lyla. Je traverse la route, suis le petit chemin de terre, marche sur le pont en pierres et arrive enfin devant la maison de mon arrière-grand-mère.
Lyla habite toute seule dans sa maison, même si elle a quatre-vingt-dix-sept ans. Elle est atteinte de la maladie d'Alzheimer. On a refusé de la mettre en maison de retraite à trois heures d'ici, et il a été convenu que nous déménagions à cinq minutes de chez elle pour aller vérifier régulièrement que tout va bien.
La maison en question est magnifique, en forme de L, avec du lierre grimpant aux fenêtres, un jardin fleuri (Lyla a transmis sa passion pour le jardinage à Marie), la cour avec une superbe fontaine et la façade décrépie qui devait être, autrefois, d'une belle couleur pêche. Digne de Roméo et Juliette !
Je trouve Lyla dans la véranda, assise dans son fauteuil, en train d'arroser ses orchidées. S'il y a une chose qu'elle n'oublie jamais, c'est de s'occuper de ses petites plantes chéries.
- Coucou Lyla ! dis-je en m'approchant.
- Bonjour, Laure, dit-elle en plissant ses yeux noirs, sa manière à elle de sourire.
Elle me confond souvent avec Laure. Apparemment, je suis son portrait craché : cheveux en pétard châtains-roux, nez en trompette et yeux verts.
Je souris, et lui réponds :
- Non, moi c'est ML.
- Ah, oui. Tu peux fermer les volets s'il te plaît ? Il va pleuvoir.
- Mmh, je ne pense pas, même si j'aimerais bien. Tu veux un verre d'eau ?
- De l'eau ? Où ça ? me répond-t-elle, soudain agitée.
- Tout va bien, ne t'inquiète pas. Tu es un peu pâle, aujourd'hui. Enfin bon. Ne bouge pas, je vais chercher le courrier.
Ma mémé a toujours été effrayée par la mer. On n'a jamais su pourquoi.
Je pousse la porte de la maison, traverse l'immense jardin, et arrive enfin au grand portail de fer. Je m'apprête à sortir les clefs de ma poche, mais... non. J'ai vraiment réussi à oublier les clefs ? Ngh.
La paresse qui m'englue m'empêche de retourner à la maison pour les chercher.
Une idée saugrenue prend forme dans mon esprit. Et si...
Je sors une barrette de mes cheveux. Je suis une agente secrète super forte et je vais réussir à ouvrir la boîte aux lettres avec une barrette. Mon heure de gloire est arrivée ! Je la rentre dans la serrure... et... il ne se produit rien.
Bon. Au moins j'aurais tenté.
Lyla débarque dans mon dos, et avance d'un air intrigué.
- Ce n'est pas comme ça qu'il faut faire, me dit-elle, cette lueur de malice brillant dans ses yeux.
- Mémé ! Tu m'as fait peur !
- Regarde, Laure.
Elle sort de la poche de sa veste deux étranges outils en métal. Ils sont longs et pointus, avec une poignée en bois et un petit crochet au bout. Bizarre. Je n'ai jamais rien vu de tel.
Elle s'approche de la boîte aux lettres, insère doucement les objets dans la serrure, et, avec des gestes précis et calculés, tourne les aiguilles. Un petit « clic » retentit et la boîte aux lettres s'ouvre en grand.
Tranquillement, elle attrape les publicités et me fait un clin d'œil. Je la regarde, bouche bée. Où a-t-elle appris cela ? J'ouvre la bouche pour lui poser la question, mais, soudain, ses yeux se révulsent.
J'hurle à l'aide. Elle s'écroule et entonne d'une voix froide et dure que je ne lui connais pas :
- Tu trouveras. Tu devineras. Les mots... qui se cachent. Ils viendront. Tu les suivras. Tu n'apprendras pas. Tu chercheras. L'erreur. Tu comprendras.
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Agent ML
Teen FictionQuel est cet étrange message codé ? Qui l'a envoyé ? Pourquoi ? Comment le décoder ? Quand Marie-Laure trouve dans une boîte aux lettres abandonnée un message incompréhensible, elle est certaine qu'il n'est pas là par hasard. Et si sa famille était...
