La réunion

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Ivan sourie toujours. Ou plutôt, il écarte les lèvres fines dans un rictus ignoble,  fixant ses collègues comme des proies. Mordred et Elena ne relèvent chez lui aucun signe de satisfaction ou de mécontentement.

Mordred craint de craquer et de s'enfuir. Elena  se prépare mentalement à affronter toutes les éventualités. Les deux attendent avec impatience qu'Ivan parle, si bien qu'ils restent encore debout comme des piquets, malgré la présence de chaises. 

L'homme rhino finit par remuer la bouche et par articuler ceci;

-"Bon, vous l'auriez deviné, l'objet du jour est l'efficacité des invasions. Et en particulier des vôtres, Mr Mordred."

Le seigneur du mal se raidit. Il a pressenti qu'Ivan le disputerait, mais  ce tacle d'entrée de jeu l'a soufflé. Ses mains suintent  et son pouls s'accélère.   

- "Il y a eu des pertes, mais c'est une période difficile pour tout le monde" intervient Elena. 

-"Mais nous ne sommes pas ici pour parler de tout le monde, Ms Elena (ses collègues de bureau détestent sa façon de prononcer les monsieurs/madames, mais ils ne le corrige pas par peur de se faire laminer). Nous sommes ici pour parler des armées de notre ami  qui fragilisent notre réputation avec ses attaques décousues" 

- "Notre réputation est mise à mal depuis Mathusalem". Contredit Elena. " Au moins depuis la fermeture de notre usine  Sud". 

-"Je ne vois pas le rapport entre les usines et le sujet d'aujourd'hui, Ms Elena". s'enquit Ivan, soucieux de gagner cette discrète escarmouche. 

- " C'est un peu la goutte d'eau qui a fait déborder le vase de nos échecs". répond-elle du tac au tac.  

- "Pourquoi tolérez qu'une femme défende votre honneur?"  lâche Ivan tout en regardant Mordred et en croisant les bras de façon patriarcale.  

Soudain, le ton et la posture d'Elena changent. 

- "peut-être qu' une femme à la direction n'aurait pas commis autant d'erreurs" persifle-t-elle. "Quelle  puérile remarque". 

Elle a opté pour la stratégie féministe. Choix judicieux. Ivan se détend légèrement. Il a dans sa vie étranglé des paysans, génocidé des villages et congelé des enfants. Mais même lui prend des risques en encourageant la misogynie.

- "Pourquoi avoir investi dans une armée de garous ?"se reprend-il en  balançant la partie inférieure de sa mâchoire de droite à gauche. Il se concentre pour faciliter la discussion Mais il aurait volontiers embroché ces deux chiards d'un coup de corne.

Le recours à une des petites mais onéreuses escouades ne plaît pas aux entreprises. Les garous se révèlent  efficaces, car ils sont furtifs, mais leur préciosité et leur labilité dilapide  les budgets. Utilisés dans les attaques éclaires, Ceux qui survivent doivent être entretenus et nourris au compte de l'envahisseur, ce qui déroutent  les néophytes qui en acquièrent.  

Mordred a ordonné à ses 6 garoux d'éliminer  2 généraux qui protégeaient le village. 

"Un peu avant l'offensive, deux heures tout au plus, je leur donnai un lien de rendez vous qu ils leur faudrait rejoindre une fois la mission terminée. Ils s'étaient introduits dans les camps, mais un adolescent les avaient repéré. ils l'ont fait taire, trop tard cela dit. le jeune garçon a eu le temps de hurler à plein poumon avant de se faire trancher la gorge. Un détachement du bataillon a rappliqué et les a encerclé. Je n ai pu qu'assister au massacre de mes infiltrés depuis mon poste."

Il finit son explication d'une traite, ne respirant pas entre les mots. Ivan connait le gaillard. Il devine que Mordred a appris une justification par coeur et qu'il se l'est récité  devant la glace avant de la  présenter. 

- Fixer un point de rendez-vous était une bonne idée. Mais pourquoi ne pas avoir envoyé un garou à la fois, afin de limiter les pertes? Quelles étaient vos espérances de succès? minces? mincissimes? Tuer un général aurait suffit. 

Ivan déplore cette opération en particulier . Il aurait eu bien des choses à dire sur l'invasion en général, Mais il se bute sur le gaspillage de 6 passifs de l'entreprise.

-"Vous auriez utilisé une harpie sentinelle et 4 garous, que cela aurait suffit."Le sourire d'Ivan a disparu pour de bon  et ce détail  annonce un tournant dans la conversation. 

-La seule harpie que j'ai elle est... elle est vieille" bégaye Mordred . Il est  peiné, mais Il ne ment pas. Sa harpie douée d'une vue médiocre, confond une souris et un dragon à 50 mètres,  et elle donnerait l'alerte si un allié lui marchait sur le pied.

-"Je ne vais pas y aller par 4 chemins". L'accélération dans la voix d'Ivan le décontenance. "Mordred, si nous continuons à utiliser vos services, c'est par respect pour votre descendance. Vous êtes le seigneur du mal le plus dispensable ".

Ivan laisse couler un silence de  10 secondes.  Il sentait qu'il reprenait l'avantage. Elena gardait le silence, mais le diamètre de ses yeux écarquillés démontraient la violence du propos. 

Hagard,  ébailli, Mordred a mentalement quitté le navire. Les larmes de sa timidité mouillent son front, ses cheveux, inondent les pores de sa défaite d'où ils ressortent juste après. Son visage se mue en un rictus permanent. Soudain, il devient l'élément perturbateur du groupe, un bébé babagaga perdu dans une réunion d'adultes (et) sans argumentaire ni logique, qui, trop timide pour contester, performe dans la gênance et dans la perte de temps . Son corps lui intime de fuir. Un ultime cadenas  sur sa conscience le maintient stoïque pendant un temps, mais la puanteur du malaise et de l'humiliation  se répandent dans son subconscient,  abrasant cette sécurité et sa sidération.  Il détale hors de la pièce, en proie à une  terreur déraisonnée. 

Elena le regarde  impuissante, avant de se tourner  vers Ivan. Les deux  restent muets. Ils se zieutent comme ça  3/4 secondes, puis, toujours sans dire un mot, Elena  pousse un soupir et s'en va à son tour. 













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