La fête du pandé

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-Cravate bleue ou cravate rouge?

Elegon hésite entre les deux. Il demande l'avis de son ami. Même si ce dernier manque cruellement de goût. Incertain, Mordred point une des deux et  lève le pouce en signe de validation.   

Je vais choisir l'autre; -dit Elegon,

Mordred se renfrogne, pas du tout amusé par la blague que Son stress l'empêche d'apprécier. Il sait qu'il va devoir discuter avec beaucoup de monde aujourd'hui, et en face d'un auditoire  critique qui plus est. Les demi-dieux qu'il veut atteindre aiment quand les petits monstres les adulent et valident leur sarcasme . Ces pensées négatives ruminent dans son cerveau mais il les fait taire . Il ne flancherait pas maintenant. Pas maintenant. 

Elegon finit de serrer son noeud de cravate et se concentre sur le mur. Il lui arrive  de regarder un point fixe dans l'espace en essayant de se rappeler d'un truc important. Ce truc en question a disparu depuis des années. Mais à chaque fois qu'il essaye de l'identifier, son cerveau ne coopère pas.

-tu te fais du mal, et des fois tu m'inquiètes.

Les mots de Mordred le ramènent à la réalité. Les deux copains transpirent la classe, enguirlandés dans leurs beaux smokings. Ils sont prêts à affronter les discussions stériles de démiurges que des millénaires de débauches et de décadence ont pourris.

- Qui comptes-tu marier, habillé de la sorte? à moins que tu ne sois invité à un enterrement. Dans ce cas je te souhaite mes plus sincères condoléances." lâche un Elegon  bien moins discret qu'à son arrivé.

Il veut s'assurer que son ami supportera les piques. Le futur mari présumé bombe le torse, gonfle ses joues et réplique;

- "Je ne peux pas te dire, c'est une surprise. Mais tu pourras toujours ramasser le bouquet quand elle le jettera derrière son épaule." 

Ils se fixent un moment avant d'éclater de rire. Cette franche camaraderie retient Mordred en vie et l'aide à combattre ses angoisses. Il aurait aimé rien qu'une fois prendre Elegon dans ses bras, mais ses mains traverseraient la masse fantomatique sans la toucher. Les deux amis grignotent un bout et se lancent dans le récit de leurs anciennes conneries. Puis ils sortent. Ils décident qu'ils iront jusqu'aux Pandémium à pied, vu que l'évènement ne se tenait qu'à quelques heures de marches de là.  

ils entendent la fête avant de la voir. Et en arrivant sur place, ils constatent que l'image n'a rien à envier au son. Les organisateurs ont placés les tables sur deux rangées espacées. Des monstres de la haute se pavanent entre elles. Des naiades transvasent de l'eau par voie aérienne pour divertir les curieux. Des colonnes en marbre somptueuses se dressent  sur cette ancienne terre volcanique, tandis que les convives entrent et sortent de chapiteaux gigantesques. 

Mordred réalise qu'il n'est pas en terrain connu. Il scrute la foule de gauche à droite et tend l'oreille, mais il n'entend aucune conversation à laquelle il souhaite participer. Dans ces situations, Elegon enfile le tablier de l'hyper sociable et assure l'entrée en contact.  

Il repère un demi-dieu entouré de féminoïdes diverses, de louves, de tarasques, de bonhfemmes de neiges maléfiques, et j'en passe. Celui-ci a des antennes sur le sommet du crâne. Son crâne dépasse ses groupies d'au moins  trois têtes. Sa veste de soie entrouverte  laissant apparaître des abdominaux verts-mauves. Mordred n'aurait pas choisi de discuter  avec ce type  mais il suit son ami sans discuter.

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L'homme antenne les emmène sous un chapiteau très grand. Ils y découvrent des centaines de monstres et de demi-dieu qui dansent. Avec ses 8 bras, le dj joue les différents succès de musique commerciale; "j'irais au bout de mes cauchemars", " Comme un maelstrom", "on ne va pas s'aimer". Le public entre en transe. Des demi-dieux hagard versent de l'alcool sur les cadavres nus. Des minotaures ont pris à parti un malheureux gobelin. Ils s'amusent à l'embrocher et à le jeter dans les airs, de cornes à cornes, et Mordred s'applique à ne pas s'éloigner de Loupo . Ce dernier a remarqué son inquiétude et  lui jette un coup d'oeil accusateur. Il n'acceptera pas de faibles dans son cercle d'amis, c'est définitif. Ou presque, car il décide de  pardonner cet écart. Son petit cerveau réalise que les minotaures  intimident . 

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Ils dansent quelques dizaines de minutes avant que l'adrénaline ne redescende. Par la suite, ils gesticulent plutôt, en se regardant en chien de faillance. Chacun a peur de montrer des signes de son malaise. Elegon et Loupo gèrent  la situation mais Mordred est gênant. Il tourmente les filles du groupe à les fixer comme ça à tour de rôle, converse peu , sourit pour un rien. L'embarras frappe la  fine équipe, si bien que sortir de cette situation devient vital. Les vessies salvatrices se "déclenchent"  et les féminoides fuient pour se livrer à un ballet de fausses pauses pipi. L'idée de rester en petit groupe avec Mordred les effraie, alors les filles-monstres se relaient pour aller aux toilettes. Elles reviennent en arborant un faux sourire de soulagement et prêtes à réaffronter l'inconfort physique.

Mordred ne réalise pas qu'il les perturbe. Il se déhanche en donnant tout ce qu'il a, et les filles commencent à lui plaire. Il commande quelques boissons, danse,  recommande des boissons, amuse les deux garçons et terrorise les femelles jusqu'à ce que son corps le rappelle à l'ordre. Il sort du chapiteau pour respirer l'air frais et se griller une cigarette. 

Il repère une petite butte de pierre trônant à l'extrémité sud-est du festival. Il cherche à la contourner pour fumer à l'abris des regards. En s'y appuyant, Mordred  se met à philosopher. Cette solitude temporaire restaure ses capacités cognitives, et il se sent mieux après 5 minutes. Il se convainc qu'il va demeurer ici quand il aperçoit deux lumières bleues  venant dans sa direction. Mordred se concentre et les fixe pour les identifier. Il se rend compte que ce sont des yeux.  Des yeux humains. L'individu se rapproche et Mordred arrive à distinguer la silhouette d'un enfant. Le gamin doit avoir entre 10 et 12 ans. Ses habits miteux décollent avec les tenues somptueuses qu'il a pu admirer jusqu'à maintenant. Une lueur de détermination indescriptible émane de son regard, comme s'il comptait saccager la fête du pandé et éradiquer tous les convives de ses petits bras amaigris.  

Mordred évite les rejetons humains. Les enfants humains et fragiles  ne prodiguent pas un bon gueuleton. Seulement, l'alcool de ce soir brouille ses habitudes. Et puis ingérer un gamin soulagerait son transit tourmenté par les mouvements répétitifs. Sans se demander ce qu'un gosse fout ici,  il décide de l'attraper et d'approcher ses dents de sa jugulaire rose.

Alors  le petit garçon crie et  tout devient noir.  



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