Chapitre 19.1 - Chasser la bête en soi jusqu'à se réapprendre

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— Pause déjeuner !

Enfin. Il était temps. J'ai l'impression de cramer en plein soleil.

— Tu vas où Billy ? Tu veux ma mort ?

Foutue échelle. Comme Ercan a insisté pour fixer la dernière planche, je dois maintenant attendre qu'il termine avant de pouvoir aller manger. À dix secondes près j'étais quitte pour rejoindre les autres à la ferme reconvertie en réfectoire. Mais non. Tandis que tous sont déjà en train de se diriger vers le repas de midi, nous sommes les deux derniers cons à encore travailler. Foutue planche.

— Clou.

Et en plus je sers d'arpète.

Perché sur son échelle à la stabilité précaire, mon collègue au crâne dégarni et rougi par le soleil met la touche finale de ce côté-ci de la barricade, alors que moi j'ai passé mon temps à lui donner ses outils tout en assurant son équilibre.

— Clou. Hey ! Billy ! Reste attentif, j'aimerais bien ne pas demander à chaque fois.

— Tu ne peux pas en mettre plusieurs d'avance dans ta bouche ?

Il s'arrête et me regarde avec de grands yeux écarquillés.

— Mais t'es fou ? T'as vu avec quoi on bosse ? Je ne suis pas vacciné contre le tétanos, moi. C'est super dangereux comme maladie, tu sais ça ?

Non, et je m'en cogne.

Continuant de râler dans sa barbe grisonnante, mon binôme reprend son travail. Il est incroyable, Ercan. On risque chaque jour une intoxication dès que l'on ingurgite quoique ce soit, on s'injecte un produit toutes les deux semaines et dans des conditions d'hygiène plus que douteuses pour ne pas succomber aux radiations, sans parler des menaces constantes d'attaque, et lui tout ce qui l'inquiète c'est de se blesser avec des clous rouillés. Ça me dépasse.

— Et voilà, terminé. Content ?

Et pas qu'un peu.

Le temps de redescendre de son échelle, de ranger son marteau, et nous voilà en marche pour rejoindre les autres au réfectoire.

— J'ai chaud, pas toi ?

Je lui réponds affirmativement d'un simple « hum », signifiant à la fois mon état de fatigue et mon besoin de tranquillité.

— Faut dire qu'on a bien bossé, hein Billy ?

Apparemment mon message n'est pas passé.

— L'hiver nucléaire semble bel et bien derrière nous, t'es pas d'accord mon ami ?

— Oui, on dirait.

Ça fait des mois en effet que je constate ce changement, mais les choses se sont accélérées ces dernières semaines. Après avoir sauté une année, l'été s'est installé d'un seul coup. Même si les températures restent bien en dessous d'un mois de juillet normal le moral est remonté en flèche.

Nous arrivons devant la porte et entrons. À l'intérieur, les autres sont déjà attablés, les assiettes à moitié pleines devant eux. L'ambiance est bonne. Ça discute, ça rigole, on croirait presque voir une pause déjeuner d'avant-guerre entre ouvriers du bâtiment. Nous prenons une assiette et nous installons en bout de table. Ercan raccroche immédiatement les wagons de la conversation avant même d'avoir posé ses fesses. Tout en parlant, il se sert dans la marmite posée au milieu de la table, le repas commun. J'attends qu'il termine. De toute façon, vu ce qu'il y a au menu, je ne suis pas pressé.

Ça va faire un mois que nous avons repris le Point d'eau, ce qui n'a pas été le plus difficile. Juste après notre « victoire » nous avons dû attendre que le messager du sergent Holzer revienne de New Town avec des renforts. Puis, avant de pouvoir relancer l'approvisionnement de la ville en eau, la priorité fut donnée à l'évacuation des blessés et des prisonniers, mais aussi et surtout au renforcement de notre position avant le retour des hommes du Gang. Tanya est repartie avec Chris, resté inconscient. La Britannique était toujours en état de stress post-traumatique. Évidemment, à moi, on a ordonné de rester car il fallait des hommes et des femmes valides pouvant se défendre en cas d'attaque. Le troisième jour, il y a eu un important convoi de ravitaillement, avec vivres, munitions, mains-d'œuvre supplémentaires, matériaux de construction et surtout, Talium, la raison pour laquelle nous restons ici de notre plein gré. Sans ça, grève générale assurée.

Chroniques des Terres enclavées - Émergence partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant