Chapitre 19.2 - Chasser la bête en soi jusqu'à se réapprendre

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— Pour commencer, voici pour vous.

Il se baisse et sort de son sac posé à ses pieds trois petites mignonnettes vertes. Il en distribue une à chacun d'entre nous.

— Voici votre... paie, du Talium, l'équivalent de trois doses.

Le petit récipient tient dans la paume de la main et arbore une étiquette blanche et orange à moitié déchirée. Cet entretien commence bien. Ma dernière injection remontant à six jours, j'ai maintenant le temps de voir venir.

— Attention, c'est la nouvelle version dont je vous parlais la dernière fois, la 1.44. Mêmes quantités, mêmes effets, mais n'oubliez pas que la durée passe dorénavant à douze jours au lieu de quatorze.

— Pourquoi cette régression ? Un problème ? demande Akram, perplexe.

— Tout dépend du point de vue. Grâce à son travail, Sarah a trouvé un moyen de réduire de 50 % la quantité d'un des ingrédients les plus importants et le plus difficile à trouver, ce qui veut dire plus de Talium produit chaque mois.

— Quel ingrédient, Sergent ?

— Vous êtes biologiste ?

D'un mouvement nerveux de la tête, Erich répond négativement.

— Alors demandez pas. Retenez qu'à partir d'aujourd'hui vous devrez espacer vos prises de Talium de douze jours, c'est tout.

Nous rangeons notre paie dans nos poches.

— Vous avez fait un bon travail ici, félicitations. La reprise du Point d'eau a été comme un coup de pied dans la fourmilière, mais vous et les avant-postes avoir... avez réussi à repousser les contre-attaques ennemies les unes après les autres. New Town peut maintenant boire et dormir en sécurité, un souci de moins.

Il marque une pause, comme pour mettre fin à la série des bonnes nouvelles. Je n'aime pas ça...

— Nous avons repris le contrôle de la situation, mais pas sans sacrifice. Nous avons perdu des combattants civils et quelques... amis à ces avant-postes.

Son hésitation en dit long sur ceux qu'il nomme « amis ». Il capte le regard d'Erich qui semble vouloir connaître les noms.

— Rainer et... Nadja. Je suis désolé, Erich.

C'est avec cette même voix monocorde et sans émotion qu'il vient d'annoncer le décès de deux de leurs camarades, ceux avec qui ils sont rentrés dans le bunker aux premiers jours de la guerre nucléaire pour partager des mois de confinement, de rationnement et d'angoisse, avant de pouvoir ressortir pour affronter ensemble ce nouveau monde dévasté. Évidemment, ça crée des liens, en particulier entre Nadja et Erich. Le chagrin qui commence à submerger le jeune soldat de 23 ans officialise une relation discrète mais sincère qui vient de brutalement prendre fin. Holzer pose une main sur son épaule. D'un mouvement de tête, le jeune homme indique que ça ira pour lui, avant de s'essuyer les yeux et de renifler un bon coup.

Le sergent reprend.

— Nous avons de moins en moins d'hommes et de femmes compétents. J'ai besoin de vous pour m'aider à refaire nos effectifs. Nous devons recruter et former de nouveaux soldats. Comme je vous l'ai déjà dit la dernière fois, vous retournez à New Town pour être instructeurs sous les ordres du caporal Flegel. Je compte sur vous.

Nous répondons à l'affirmative.

Un klaxon retentit derrière la barricade. C'est la navette, notre taxi. Nous retournons auprès de nos camarades pour terminer le travail et partir au plus vite.

Instructeur, sans déconner, c'est la classe. Je vais rester dans l'enceinte de New Town, nourri, logé et payé en Talium pour entraîner de nouvelles recrues que je pourrai engueuler à loisir comme le faisait mon sergent instructeur Baker. Je ne pouvais pas rêver mieux.

Chroniques des Terres enclavées - Émergence partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant