Chapitre 5 : Nastya

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L'instant était crucial. Je craignais sa réaction. Il m'observait ne s'attendant pas à ma demande. Je regardais mon père dans les yeux, plus sérieuse que jamais. Il fallait qu'il comprenne que je ne plaisantais pas. Cette discussion devait rendre la liberté aux deux femmes de cette famille. Je n'allais pas passer par quatre chemins. Autant entrer dans le vif du sujet malgré la perturbation de l'intrus. S'il s'avérait que ma mère partait, je devrais faire face à cet homme toute seule, car il reviendrait. Je l'avais senti. Il allait revenir. Sa curiosité lui faisait défaut. Cela m'effrayait mais cela serait, également, un bon exercice pour moi.

— Il faut que tu ramènes maman avec toi, demain.

Il leva les yeux au ciel, exaspéré. Je savais ce qu'il en pensait. Il était buté mais je pouvais l'être tout autant que lui. Les chiens ne faisaient pas des chats, disait—on.

— Nastya, soupira-t-il, nous en avons déjà parler...

Je me levais pour me tenir debout devant lui, les mains sur les hanches. Je n'en revenais pas de me battre pour elle mais cela nous aiderait, toutes les deux.

— Faux. Vous en avez parlé, tous les deux, quand maman a avancé l'idée qu'il était temps pour elle de me libérer du joug parental.

— Et je n'ai pas été d'accord. Je ne veux pas te laisser seule ici.

— Comprends-moi bien, papa. Je te remercie pour tout ce que tu as fait pour moi, toutes ces années mais maman est malheureuse, si malheureuse qu'elle a commencé à développer une rancœur à mon encontre...

Il fronça les sourcils. Il était perplexe.

— Que veux-tu dire ?

— Maman m'en veut pour la vie qui lui ait offert, décidais-je de jouer franc jeu.

Son souffle se coupa. Le choc de mes mots glaça le sang dans ses veines. Cela me fit de la peine de lui infliger l'horrible vérité mais il fallait qu'il entende notre souffrance.

— C'est faux enfin, s'exclama-t-il, refusant d'y croire.

— Je te rappelle que je suis une empathe. Je ressens tous son ressentiment à mon égard et ça devient insupportable. Ça me bouffe de l'intérieur, papa.

Il se passa les deux mains dans les cheveux, inconscient de ce qui se tramait lorsqu'il était absent. Lorsqu'il releva la tête, je pus voir, dans ses yeux, l'acceptation et une pointe de colère y briller.

— Tu es sûr ? Demanda-t-il, complètement abasourdi.

— Oui. Elle ne supporte plus de vivre comme ça. Ça se passe mal entre elle et moi. Elle m'en veut, d'une certaine manière, d'être ce que je suis. Depuis quelques mois, je n'arrive plus à ressentir de sentiments positifs lorsqu'elle me regarde, et ça commence à m'affecter horriblement.

Il lâcha ma main et se redressa, le regard perdu devant lui. Il en voulait à ma mère. Il était en colère contre elle. Il n'arrivait pas à imaginer comment une mère pouvait faire subir cela à son enfant mais il n'avait pas tout le contexte. Il avait un point de vue externe de la situation. Je ne pouvais pas le laisser macérer ce genre de sentiment pour ma mère. Après tout, j'étais capable de la comprendre. Ce n'était pas facile de vivre recluse tant d'années. Elle avait besoin de vivre. Elle avait le droit de vivre et rien ne l'en empêchait, contrairement à moi.

— Non... ne lui en veut pas, papa. Ce n'est pas sa faute. Tu pars toute la semaine. Tu ne vis là que le week-end. Tu ne peux pas te rendre compte à quel point ça peut être dur de vivre loin de tout. Sa vie d'avant lui manque. C'est tout à fait normal. Si je le pourrais, je quitterais aussi le chalet. C'est difficile de se retrouver aussi loin de la population sans vie sociale. Elle n'a rien d'autre que son potager, papa... ce n'est pas une vie réjouissante... il faut que tu la sortes de là.

The young empathWhere stories live. Discover now