Chapitre 9

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Je pensais que le repas serait suivi de nouvelles révélations, mais Yaël et Stan n'avaient quasiment parlé qu'entre eux du voyage qui nous attendait. J'avais fini par les laisser et j'étais montée dans ma chambre.

Cela faisait à présent plus d'une heure que j'étais seule à attendre. Je savais qu'il n'allait pas tarder à me rejoindre. J'avais envie de me coucher et de faire semblant de dormir, mais au fond, ce ne serait que retarder l'échéance. Je n'avais même pas vraiment sommeil.

Mon cerveau s'agitait dans tous les sens. Pourquoi les cavaliers rouges étaient-ils venus se saisir de mon oncle et de ma tante ? D'où sortait cette histoire de trahison ? Qui pourrait leur vouloir du mal ? Que fallait-il dire au Prince pour le convaincre ? Et Théo ? Comment allait-il ?

Il devait m'en vouloir de ne pas être resté à son chevet dans un moment comme celui-ci. Je m'en voulais moi-même, mais j'étais la seule qui pouvait encore plaider leur cause. S'ils venaient à être condamnés, l'exécution aurait lieu dès le lendemain. Il fallait se rendre le plus vite possible au Mont d'Or.

Je m'agitais dans la chambre à cette idée et faisais les cent pas comme si j'entamais déjà notre marche vers le Nord. J'aurais dû me reposer et conserver mon énergie, mais impossible de rester en place.

Je regardai par la fenêtre. L'obscurité était tombée. Je constatai néanmoins qu'Elya n'était plus où je l'avais laissé. Les garçons avaient dû s'en occuper, ce qui signifiait que Yaël n'allait vraiment plus tarder à arriver. Cet homme, cet étranger au pouvoir mystérieux, ce mari qui m'était inconnu.

Et cette voix sombre et énigmatique qui résonnait dans ma tête : « Tu dois fuir. La route sera longue et le chemin ardu, mais il te faut l'emprunter. Tes terres en dépendent ». Qu'est-ce que le prêtre avait bien voulu dire ? Fuir qui ? Les cavaliers rouges et me mettre à l'abri du danger ? Ma famille pour m'installer auprès de Yaël ? Ou le fuir lui et mettre fin à ce mariage avant même qu'il ne débute ?

Je remontai mes mains par-dessus mon front et fis glisser mes doigts dans mes cheveux jusqu'à en tirer la racine. Je soupirai. J'avais horreur de ce sentiment d'impuissance. Je m'installai au bord du lit. La pièce était petite, mais bien aménagée.

Un bureau en alisier avait été mis devant la fenêtre pour bénéficier le plus possible de la clarté du jour. Il n'y avait en revanche pas de penderie, de longs bancs avaient été placés le long du mur et des patères en fer forgé avaient été fixées au-dessus pour que l'on puisse suspendre nos vêtements. J'avais allumé une chandelle et observais le reflet de la flamme faire danser les ombres sur la tapisserie.

C'est à ce moment qu'il entra dans la pièce, toquant légèrement en même temps qu'il ouvrait la porte. À sa démarche, je constatai qu'il était un peu éméché. Rodolphe, le tavernier, avait dû leur faire goûter sa spécialité maison.

- Izi, dit-il simplement, comme si mon prénom était une note de musique.

Il vint s'asseoir à côté de moi, sa jambe collée à la mienne. Il glissa ma main gauche entre ses deux mains, la monta à ses lèvres, et y déposa un chaste baiser.

- Tu n'imagines pas à quel point je suis heureux que tu sois là, ajouta-t-il.

Sa franchise me déstabilisa et éveilla en moi encore plus de questions. Je les mis de côté. La seule façon pour moi de vivre cette scène était de garder le contrôle. J'en avais besoin.

Je m'appuyai sur le lit pour me hisser à la hauteur de son visage. Il fut surpris de mon audace. Je ne réfléchis pas et posai mes lèvres sur les siennes.

D'abord timide, notre baiser devint un exutoire. J'y laissai mes peurs, mes doutes, j'oubliai tout le reste. Dès qu'il semblait se terminer, nos bouches se cherchaient de nouveau comme si elles ne pouvaient plus se passer l'une de l'autre. Il bascula le long du lit et m'entraina dans sa chute. Je me retrouvai à moitié sur lui. Je n'éprouvai pourtant aucune gêne. À cet instant, nous étions en parfaite osmose. Je n'eus à aucun moment la sensation d'être avec un étranger.

Il m'entoura de ses bras et me serra fort contre lui, comme si cette étreinte lui était indispensable. Il en profita pour basculer vers la gauche et se mettre par-dessus moi. Il s'arrêta alors de bouger et me regarda. Ses cheveux étaient en bataille, ce qui accentuait encore son charme. J'avais l'impression que mon cœur allait sortir de ma poitrine tant je l'entendais battre.

- Mon épouse, tu m'honores de cette soudaine affection, mais je doute qu'elle soit sincère. Cela me chagrine, je ne te le cache pas. Je dois cependant te dire que tu n'es obligée de rien. Je sais qu'en Hululy les mariages se déroulent ainsi, mais il en va tout autrement chez moi. Tu t'en rendras compte par toi-même. Et pour être honnête, je préfère conserver mes traditions et attendre ton affection.

Ses mots se voulurent gentils et pourtant ils me blessèrent. Si notre premier baiser n'était pas sincère, les suivants l'avaient été. Il aurait dû s'en rendre compte. Je lui répondis, acide.

- Et si elle ne vient jamais ?

- Je ne m'en fais pas pour ça ! affirma-t-il avec assurance.

Il se redressa et ajusta son pantalon dans lequel il était désormais à l'étroit.

- Tu es bien sûr de toi, rétorquai-je.

- Izi, je ne peux que m'imaginer ce que tu as dû ressentir ces dernières vingt-quatre heures et crois-moi j'aurais préféré que cela se passe différemment. Tu vas encore passer par bien des émotions j'en ai peur, mais tu peux être certaine d'une chose, je serai toujours là pour toi. Tu ne me connais pas et c'est normal que tu doutes. J'ai eu le temps de te connaître, de te découvrir à travers le regard de ton oncle alors que pour toi je ne suis qu'un étranger. Je le sais.

J'allais lui répondre, mais il ne m'en laissa pas le temps.

- Je ne peux pas répondre à toutes tes questions pour le moment. J'aimerais, mais il ne vaut mieux pas. Tu comprendras tout en arrivant chez nous. Une fois à Astrée, je t'expliquerai tout, c'est une promesse. Est-ce que tu peux patienter jusqu'à ce jour et essayer en attendant de me faire confiance ?

Sa requête me semblait finalement assez raisonnable à côté de l'aide qu'il m'apportait. Je lui répondis timidement.

- Je crois, oui.

Son sourire envahit son visage.

- Merci, me dit-il soulagé. Je ne me fais toutefois pas d'illusions, pour que tu puisses y parvenir, il faut que tu apprennes à me connaître.

Il s'agita dans la chambre comme s'il était à la recherche d'une idée.

- Je ne peux pas répondre à tes questions, continua-t-il, mais je peux combler certaines lacunes. Commençons par le début. Que sais-tu de moi ?

La Grand'Astrée. La légende d'Izi et de Yaël - Tome IWhere stories live. Discover now