Chapitre 26

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Je me réveillai avec un mal de tête cuisant. Mon corps était balloté et chancelé au rythme de petites secousses. Je me déplaçais. J'avais du mal à ouvrir les yeux. Ma tête me faisait vraiment souffrir. Où étais-je ?

Je constatai que j'avais les mains liées dans le dos et que j'étais bâillonnée. On ne m'avait cependant pas ôté cet affreux sac. Je devinais toutefois que j'étais dans une carriole, au son des sabots des chevaux. La route était pavée, je supposais donc être encore au Mont d'Or, je n'avais pas dû perdre connaissance bien longtemps.

J'arrivai à frotter mon visage contre l'une des parois de la carriole et à dégager un peu la toile de jute qui obscurcissait ma vue. Je constatai des barreaux tout autour de moi. J'étais dans une cage. Je tentai de me retourner pour voir dans quelle direction nous allions et je distinguai avec terreur le grand dôme doré du Palais. Nous allions chez le Prince. Face à ce constat, je sentis la peur s'infiltrer par tous mes pores.

Je pensais perdre de nouveau connaissance quand une vive lumière m'aveugla. Yaël m'apparut alors très clairement, mais je savais au fond qu'il n'en était rien. J'étais en train d'avoir une vision. Passée, future, je n'en savais rien et je me demandais même si je n'étais pas en train de vivre l'instant présent.

Yaël entre dans une petite pièce étroite et sombre. Au fond de ce trou sordide gît mon oncle. Il a les traits tirés et porte quelques traces de contusions. Quand il aperçoit Yaël, il attend que la porte se referme pour se relever tant bien que mal et s'écrie, affolé.

- Mais que faites-vous ici ?

- Doucement, je ne devrais pas être là, le prévient Yaël.

- Vous devriez être à l'Est, loin d'ici, avec ma nièce.

- Je sais, mais elle a insisté pour vous sauver. J'ai demandé une audience auprès du Conseil du Prince. Nous allons tenter de vous disculper. Nous...

- Quoi !? Izi est ici ?

- Oui, elle sera le témoin de votre vertu, lui explique Yaël.

- Non, non, non, c'est pas vrai ! s'alarme mon oncle.

- Du calme, vous ne comprenez pas, nous allons vous faire sortir de cette prison, vous et votre femme, tente de le rassurer Yaël.

- Non. C'est vous qui ne comprenez pas. Si je vous ai accordé la main de ma nièce, c'est pour que vous l'emmeniez loin d'ici. Il vous faut partir au plus vite. Vous ne pouvez rien pour nous.

- Comment ça ? s'enquiert Yaël soudain soucieux. Dites-moi ce qu'il s'est passé ?

- Vous devez protéger Izi. Elle est en danger ici. Emmenez-la le plus loin possible du Mont d'Or. Personne ne doit savoir qu'elle est ici, vous m'entendez ? Vous ne devez pas vous rendre à l'audience. Vous ne pouvez rien pour nous, nous sommes déjà morts. Partez ! Maintenant !

- Qu'est-ce que vous ne me dites pas ? Je ne partirai pas tant que vous ne vous serez pas expliqué, le prévient Yaël.

Mon oncle regarde Yaël avec désespoir, ses yeux s'embuent de larmes. Il cherche ses mots. Il est éreinté.

- Ma sœur, commence-t-il par dire. Ils... ils ont raison. J'ai trahi le Prince. Mon secret mourra avec moi. Jamais je ne la trahirai elle.

Ces derniers mots résonnèrent dans ma tête. Je ne vis malheureusement pas la suite de leur discussion et réintégrai ma réalité. Moi, dans cette cage, ligotée.

J'implorai en mon for intérieur que Yaël fasse quelque chose pour ma famille. Ne les laisse pas mourir, mon amour, je t'en prie. J'étais si inquiète que je n'arrivais pas à prendre conscience du danger qui m'entourait, bien que je sois ficelée au fond de cette carriole.

Ma tête me faisait tellement mal que j'avais du mal à penser. Qui était cette sœur ? Je n'avais pas d'autre tante. Comment devais-je interpréter cette prémonition ? Yaël... Stan... Où étiez-vous ? Et je sombrai de nouveau dans les ténèbres à cette pensée.

Je me réveillais par intermittence. J'entendis les chevaux s'arrêter, la porte s'ouvrit et quelqu'un me tira pour me transporter. Je continuai à faire l'inconsciente, espérant ainsi glaner quelques informations sur ma détention.

Il n'en fut rien. On me jeta un seau d'eau froide sur la tête pour me faire revenir à moi. On n'avait même pas pris le temps de m'enlever le sac autour de la tête, si bien que je suffoquai, le tissu se collant à mon visage et m'empêchant de respirer. On me l'arracha brutalement, m'ôtant au passage le bâillon de ma bouche, puis on me fit avancer sans ménagement.

Le soleil m'éblouissait et je m'attendais à voir plusieurs soldats, mais il n'y avait qu'un seul homme.

- Avance, me lança-t-il, dédaigneux.

- Où est-ce que vous m'emmenez ? balbutiai-je.

- Avance, morveuse, ne me fais pas répéter.

Il me dirigea vers une petite porte en bois, nul doute que ce n'était pas l'accès principal du château. Il toqua deux fois avant qu'un soldat ouvre une petite trappe et se renseigne sur qui était là.

- J'ai demoiselle Isabelle de Valdéria avec moi.

La serrure se déverrouilla à ces mots pour nous laisser entrer dans une petite cour intérieure.

- Tu as été rapide. Où l'as-tu trouvée ? demanda le soldat.

- Je la piste depuis Grand-Pont. Elle a donné son identité au passeur. Le plus drôle est qu'elle s'est rendue justement là où je devais la conduire. Pour une fois, je n'ai eu qu'à attendre, ricana-t-il.

- Vous êtes un des chasseurs de Sa Majesté, constatai-je, médusée.

- Perspicace, me répondit-il avec un rictus.

Si les cavaliers rouges agissaient aux yeux de tous, les chasseurs eux agissaient dans l'ombre et prenaient leurs ordres de façon insidieuse. Il suffisait d'un mot chuchoté à une oreille. Ils étaient redoutables et grassement payés pour leurs services discrets.

Qu'est-ce que mon oncle avait pu me dissimuler ? Pourquoi étais-je ici ?

Le chasseur me confia sans hésitation aux quatre soldats de la garde et disparut le long des murailles, m'abandonnant à mon sort. Deux d'entre eux m'entrainèrent à l'intérieur. Après avoir longé un long couloir, ouvert sur une sorte de cloitre, on m'obligea à descendre dans un endroit des plus lugubres.

Les escaliers empruntés me firent dévaler plusieurs niveaux. Ici, la lumière naturelle ne parvenait pas, la pierre était humide et, par endroits, recouverte de mousse. J'avais peur, j'avais terriblement peur. Je tentai bien de protester, néanmoins les soldats ne m'écoutaient pas et se contentaient d'exécuter les ordres. Ils m'enfermèrent dans un petit cachot, sans éclairage. Je me retournai et tambourinai à la porte. Je les appelai, leur demandai de revenir, de ne pas me laisser ici, mais ils m'ignorèrent et me laissèrent m'époumoner.

Je laissai les larmes affluer sur mon visage et mis un certain temps à me calmer. Petit à petit, mes yeux s'habituèrent à la pénombre. Je distinguai de la paille au fond de la pièce et un seau. Je me sentis humiliée et totalement perdue. Je m'allongeai sur la paille, seule chose sèche qui se trouvait autour de moi.

J'avais froid, je me mis à grelotter. Je pensai à Yaël. Il me manquait cruellement en cet instant.

Je savais qu'il viendrait me chercher. Il devait être fou de rage. Il retournerait ciel et terre pour me retrouver et, au nom des anciens et des nouveaux dieux, ce n'était pas qu'une façon de parler ! Mais savait-il seulement où j'étais ?

Stan avait dû s'impatienter et rentrer dans l'échoppe, sans m'y trouver. Lui aussi devait être inquiet et je savais qu'il me chercherait également. Je l'entendais déjà me réprimander quand il saurait à quel point je m'étais laissée facilement attraper. Ils me manquaient tellement.

Je n'arrivais pas à garder des idées cohérentes et me remis à pleurer. Je m'endormis finalement de fatigue, la peur au ventre.

La Grand'Astrée. La légende d'Izi et de Yaël - Tome IWhere stories live. Discover now