Chapitre 24

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Les jours suivants nous vivions un vrai conte de fées. Chaque arrêt était l'occasion de nous retrouver, j'avais l'impression d'être aussi souvent à cheval que dans ses bras. Stan n'en pouvait plus de nous voir roucouler, mais c'était plus fort que nous. J'étais irrésistiblement attirée par lui et je l'envoûtais autant qu'il m'obsédait. Il était devenu mon oxygène.

J'en arrivais à oublier l'espace d'un instant le danger qu'encourait ma famille et pourquoi nous nous rendions au Mont d'Or. Dans ses bras, je me sentais insouciante, protégée de tous les malheurs de ce monde.

Un après-midi, nous avions trouvé un petit lac, bordé d'une cascade. Le cadre était idyllique. Yaël avait insisté pour qu'on ne reparte pas de suite et que Stan profite de la densité de la forêt pour aller chasser. Dès son départ, il m'avait attrapée pour me jeter à l'eau.

La journée avait été chaude et l'appel de l'eau était trop fort. Je me retrouvais tout habillée dans ce lac avec Yaël qui se marrait sur la berge. Je lui jetais au visage toutes les gouttes d'eau que je pouvais, avant qu'il ne plonge finalement pour me rejoindre.

Sous cette cascade, dans ses bras, j'étais au paradis. Il était le seul à me regarder de cette manière, presque animal, un peu comme si ses yeux déclamaient que j'étais à lui et à nul autre. Je me sentais précieuse, unique et j'avais envie de lui être indispensable.

Nous avions dû ensuite attendre plusieurs heures que nos vêtements sèchent avant de pouvoir repartir. Stan était furieux et se sentit obligé de nous rappeler notre objectif au Mont d'Or. Je me souviens que la culpabilité m'avait aussitôt assaillie. Notre bulle était percée. Elle devait l'être sans doute.

Stan avait entrepris mon entraînement depuis que nous avions quitté Grand-Pont et il prenait son rôle d'enseignant très à cœur. De mon côté, je rechignais. J'étais fatiguée d'être si souvent à cheval, j'avais mal de partout et je le trouvais beaucoup trop dur avec moi.

Au début, il essaya de m'apprendre l'art du maniement de la falcata, cependant devant mon inexpérience criante, il abandonna rapidement. Il s'évertua donc à m'enseigner ce qu'il considérait être les « bases ». Nous nous exercions un peu au bâton, mais je touchais très peu ma cible et, à côté de lui, mon corps se teintait de plus en plus de bleus. J'aurais été de toute façon bien en peine de le blesser, prenant alors toute la mesure de son pouvoir.

Il le nommait le « don de peau ». Autant dire que cela ne m'évoquait strictement rien. Il avait la capacité de modifier l'opacité de son épiderme. Celui-ci pouvait se distendre et gonfler, prenant des formes plus ou moins rondes, comme il l'avait fait à l'auberge avec son visage. Sa peau devenait alors entièrement élastique. Et à l'inverse, il pouvait la rendre dure et épaisse. C'était un peu comme s'il était atteint de sclérodermie, mais c'était en réalité bien plus que ça, sa peau devenait dure comme la pierre, il pouvait se transformer en un véritable roc. Il devenait alors un véritable bouclier humain, inébranlable, imblessable, indestructible. Je pris conscience de l'importance de son rôle au côté de Yaël. Il était son garde du corps, bien que je doutais que ce dernier en ait réellement besoin.

Stan me disait souvent que j'avais de bons réflexes, mais que je manquais de technique. Je ne ferais clairement pas le poids face à un ennemi plus fort, il fallait savoir où frapper et quand, utiliser à son profit la puissance de l'autre. Il m'obligeait à répéter les gestes de combat. Il disait qu'il fallait que les mouvements deviennent instinctifs et que la seule façon était de les répéter, encore et encore, inlassablement.

Je dois bien avouer que je me sentais ridicule. Il m'encourageait en me disant d'imaginer ça comme une danse et je m'appliquais à faire preuve de sensualité, face à un Yaël qui n'en perdait pas une miette. Je lui destinais chacun de mes mouvements, il m'obsédait totalement.

Il lui arrivait parfois de me reprendre et de positionner plus haut ma garde ou me faire davantage fléchir les jambes. Ces mouvements étaient les premiers qu'on leur avait enseignés à la Grand'Astrée. Ils me répétaient sans cesse qu'il fallait les exécuter rapidement, avec tonicité et précision, en gardant une position stable et aussi en faisant preuve de charisme. Autant dire que quand les deux s'y mettaient, l'entraînement n'était pas une partie de plaisir.

Nous rapprochions de notre objectif et je devais me concentrer, d'autant que je ne contrôlais pas davantage mon don. Les heures passées auprès du feu, après nos repas, n'y changeaient rien. Je n'avais eu aucune vision depuis. J'écoutais pourtant attentivement leurs conseils, mais rien n'y faisait.

Stan me reprochait de m'être coupée des réalités pour vivre mon idylle avec Yaël. Ce dernier ne semblait pourtant pas s'en soucier et répétait que j'aurais bien le temps d'apprendre. Il avait tort. J'aurais dû me rappeler ce qui nous menait sur cette route, j'aurais dû me concentrer davantage sur ce qui était important. Théo comptait sur moi, j'étais la voix de ma famille.

Je pensais souvent à lui. Il était comme un frère pour moi. Quand je suis arrivée à la ferme à mes 8 ans, il en avait tout juste 10. J'avais partagé un temps ma chambre avec lui. Nous avions toujours été proches. Le fait de penser à lui me rappelait que l'attente de son côté devait être bien pire que ma chevauchée ou qu'un quelconque entraînement. Je l'imaginais cloîtrer au lit, sans pouvoir bouger, impuissant face aux évènements. Il devait devenir fou, lui qui ne tenait jamais en place. Que lui avait-il pris de s'interposer devant les cavaliers rouges ? Qu'aurais-je fait si j'avais assisté à l'arrestation de mes parents ?

À l'approche du Mont d'Or, j'étais complètement happée par cette réalité. Le sort de ma famille allait dépendre de ces prochains jours. Nous y étions, c'était maintenant que tout allait se jouer. Stan avait entrepris un décompte pour tenter de faire naître en moi la peur et produire une vision. Cela ne plaisait pas à Yaël, mais l'idée n'était pas bête et elle aurait dû fonctionner ; j'étais indéniablement de plus en plus anxieuse à l'idée de pénétrer la cour du Prince. Pourtant, mes prémonitions me faisaient cruellement défaut et c'est à l'aveugle que nous nous apprêtions à entrer dans la cité princière.

Je ne le savais pas encore, mais rien de ce qui allait se produire n'aurait pu être évité. Nous n'étions que des pions dans un échiquier dont nous ignorions les règles. Au moment de franchir les portes du Mont d'Or, nous étions intimement persuadés que nous allions délivrer ma famille, alors qu'en réalité, nous nous jetions dans la gueule du loup.

La Grand'Astrée. La légende d'Izi et de Yaël - Tome IWhere stories live. Discover now