21 : Casser et renouer

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Le petit est assis sur son lit, les yeux remplis de larmes, le pantalon de pyjama, sale et tâché, à peine remonté sur le dessus de ses genoux.

L'homme vient de partir, il n'a pas fermé la porte et est content de lui ce soir. Après avoir ébouriffé les cheveux de l'enfant, larmoyant et priant pour que tout cela s'arrête, ri de son rire gras et posé une main dégoûtante sur la fine cuisse du petit garçon, il est parti de la chambre. Le pauvre enfant ne s'est jamais senti chez lui dans sa pièce, ce n'était pas "comme à la maison". La bonne vieille maison qui sentait les biscuits aux amandes, les clémentines fraîchement épluchées et les produits ménagers.

La porte n'est pas fermée ce soir. Il n'est pas dans le noir, la fine lumière du salon l'accompagnait pour quelques instants encore. Mais ce qu'il entendait cette nuit n'était pas les ronflements de l'homme qu'il aurait aimé appelé "papa", non, ce qu'il entendait était des cris. Des cris déchirant la nuit noire, traversant les cœurs et les fenêtres, tout droit tirés de films d'horreurs. Des gifles, des claques, des coups de poing, de pied, des choses qu'on frappaient au mur et des gémissements continus, encore plus douloureux que les cris.

Le petit avait peur, il ne tremblait pas, mais il sentait ses muscles se raidir à chaque fois qu'un choc retentissait sur une des portes de l'appartement.

Enfin, plus de coups. Plus de cris. Plus de peur. Il se lève de son lit, le pantalon toujours baissé aux chevilles, il avance lentement dans la pénombre, marche sur la ligne de lumière dessinée au sol, il ne fait pas de bruit parce que "si tu fais du bruit, tu rejoins le monde des cauchemars, et tu n'aimes pas les cauchemars, si ?", le jeunot se surprit lui-même à secouer la tête.

Mais soudain, il s'arrête. Ses petites mains tendues devant lui, il essaie d'attraper quelque chose, de trouver quelque chose à quoi s'accrocher ou quelque part où se cacher. La grande armoire, juste devant la porte. Il a peur de la grande armoire, ça l'aurait sûrement rassuré de savoir de quelle couleur elle était, mais il n'y a pas de lumière. Il n'y a jamais de lumière.

Il descend doucement sur ses genoux, en profite pour remonter son bas de pyjama et se met à plat ventre devant la mince ouverture de la porte. Il recule et passe en-dessous du meuble. Sa vision sur l'extérieur de la pièce est parfaite. Si parfaite qu'il voit un homme, son père... à genoux. Il pleure des dizaines de larmes ruisselantes sur son visage ridé et déformé par le temps. Si longtemps que l'enfant n'avait pas pris le temps d'examiner ce visage de plus près, il n'en a jamais eu l'occasion, sinon son corps en subissait les conséquences.

Les mains du même homme sont sur sa nuque, elles arrachent la peau de son cou, tremblent et ont du mal à ne pas tomber par terre. Tout son corps est recroquevillé, secoué de sanglots étouffés. Et c'est à ce moment, ce moment précis que le petit garçon lève les yeux sur le haut de la tête de l'homme, remonte de la forme de son nez à son front, regarde le bout de l'objet noir, pointé droit sur son crâne, et comprends ce qu'il va se passer.

Un doigt sur la détente, la même personne qui a posé ses grandes mains charnues sur le corps de l'enfant, qui l'a brutalisé et marqué  sa vie de tâches ineffaçables, est debout devant son père, déterminé à achever ce qu'il a en face de lui. Le petit se créer son propre décompte, fait suivre les nombres en se bouchant les oreilles.

- C'EST PAS-

La tête bascule en arrière, une traînée rouge sort du front tandis qu'un long râle s'échappe du corps encore conscient. Des doigts tentent de gratter, d'arracher le parquet rongé par les mites. Ses jambes se tortillent dans tous les sens, lentement, faiblement... puis plus du tout.

Le liquide rouge coule le long du crâne écrasé sur le sol, sur sa tempe et à travers ses cheveux. Les yeux grands ouverts, sa poitrine se soulève une dernière fois, avant de se reposer à plat.

Risque (L.S.)Where stories live. Discover now