Nébuleuse

Chapitre 3 - Chase ✅

Je sortis de la prison exténué et profondément énervé. J'étais de garde pour mon premier jour et avais le droit à une pause d'une heure pour aller manger un morceau. Après mon rendez-vous avec Mme Rosenberg, j'avais fait plusieurs tournées en évitant soigneusement la Zone Z, me trouvant des excuses et du travail pour ne pas y aller. J'avais quand même gardé à l'esprit ce qu'elle m'avait demandé, et maintenant que j'étais enfin seul, je laissai ma colère reprendre le dessus. Cette femme était diabolique, j'en avais la certitude. J'étais content d'avoir obtenu le poste lorsque j'étais arrivé ce matin, mais depuis notre entretien, le doute m'habitait. J'avais comme l'impression d'avoir mis les deux pieds dans un piège, et qu'il se refermait inexorablement sur moi.

Je marchai d'un pas ferme vers le train magnétique, lorsque j'entendis des bruits de pas derrière moi. Au début, je tentai de ne pas y prêter attention, me disant qu'une autre personne empruntait cette route. Mais le bruit des enjambées se faisaient de plus en plus rapides et insistants, s'arrêtaient quand je m'arrêtais aussi. Alors mon sixième sens repris le dessus par lui-même. Je me retournai brusquement, prêt à me confronter à un brigand, mais ne vis personne. Je ne voulais pas lâcher le fameux : "Il y a quelqu'un ?", car je savais pertinemment que personne n'allait répondre à cette question absurde.

Il faisait nuit noire et ma silhouette se répétait en plusieurs fois à cause des différents lampadaires disposés sur le côté de la route. Les agressions étaient banales dans les rues. Tous les matins on ramassait des cadavres fraichement tués pour leur maigre portefeuille, ou bien pour des histoires de gangs et de règlements de compte. De la drogue circulait dans tout le pays et les gens se battaient pour s'en procurer. C'était peut-être pour fuir ce monde qui allait mal, ou parce que c'est lorsque l'on met sa vie en danger que l'on se sent le plus vivant. C'était difficile de se sentir vivant dans un monde qui mourrait.

Pour ma part, je n'avais pas besoin de prendre de drogue pour me sentir vivant. La douleur me le rappelait déjà bien assez tous les jours.

Une branche craqua à ma gauche, interrompant le flot de mes pensées. Cette fois j'en étais certain, quelqu'un me suivait. Et ce, depuis que j'étais sorti de la prison. Je respirai profondément et extrais un petit canif de ma chaussure tout en faisant mine de refaire mon lacet. Le contact du métal froid dans ma paume m'apaisait.

Avant, je paniquais pour des petites choses du quotidien, mais dès que la situation était sérieuse, je savais me montrer calme et professionnel. La guerre m'avait endurci et plus rien ne m'effrayait. Je me retournai brusquement, mon arme pointée de manière menaçante. Mais une fois de plus, il n'y avait personne. "Ce n'est pas possible, me dis-je, je deviens fou". Je soufflai tout en gardant mon arme dans la main droite et regardai vers la lune comme si elle allait confirmer mes dires. Un autre craquement se fit entendre, cette fois juste derrière moi, et soudain, quelqu'un m'asséna un violent coup sur la tête. Je m'écroulai sur le sol et vis la lune se démultiplier en six exemplaires brillants et dansants au-dessus de moi. Je sentis quelque chose de froid me frôler la joue. Puis une douleur lancinante me traversa d'une part à l'autre de mon profil.

— Vous avez quelque chose qui nous appartient.

C'était une voix d'homme. Elle se voulait ferme, mais elle était tremblante.

— Qui êtes-vous ? réussis-je à articuler, non sans peine.

J'avais les yeux grands ouverts mais ne voyais rien que la lune et une lame d'environ vingt centimètres flotter dans l'air. Attendez. Une lame qui flotte ?

— Libère-la et donne-lui ceci.

Un caillou gris luisant légèrement et dégageant de la chaleur tomba juste à côté de mon visage.

     — Si tu ne le fais pas, je ne te raterai pas la prochaine fois.

Les pas s'éloignèrent et je réussis à me relever pour voir sa silhouette s'évaporant dans la nature.