2

1K 104 47
                                    


Un bruit de rideau réveilla Colin. La lumière matinale l'aveugla et la voix agaçante de sa mère acheva son supplice :

— Bonjour, mon sucre d'orge. Aujourd'hui, le soleil brille, les oiseaux chantent, et c'est le premier jour de ta dernière année au lycée !

Colin souffla dans son oreiller, fatigué. Il avait passé les vacances à se coucher tard ; se réveiller à 7 heures n'était plus du tout dans ses habitudes.

Comme il ne se levait pas, sa mère frappa dans ses mains et lui servit un monologue strident qui comportait la fameuse phrase : « Si tu t'étais décidé à reprendre le rythme un peu plus tôt, tu n'aurais pas autant de mal à te lever ! » Colin soupira lorsqu'elle quitta sa chambre. Pourquoi, alors qu'il avait dix-sept ans, ses parents s'obstinaient-ils encore à le réveiller ?

On frappa à sa porte. Fort. Beaucoup trop fort pour que ce soit sa mère. La voix de son père tonna :

— Au rapport dans deux minutes et habillé, s'il te plaît !

Cette fois, Colin sauta hors de ses draps. Il avait vu son père en action, il avait vécu l'horreur d'un lit retourné. La première règle de la famille Hogan était celle-ci : ne pas titiller le père. En quatrième vitesse, il enfila l'uniforme de son lycée et descendit, son blazer à la main.

L'ambiance du petit déjeuner était toujours calme. On était loin de la famille bruyante et pressée qui se disait bonjour entre deux gorgées de jus d'orange. Non, chez les Hogan, il y avait des traditions : manger en- semble, aller à la messe le dimanche, laisser papa dormir l'après-midi et ne jamais parler de sexualité, d'alcool ou de drogue. Sa mère lui servit une copieuse portion d'œufs brouillés pendant que son père lisait le journal.

— Allez, mange, une grosse journée t'attend. 

Colin obéit, mais il n'avait pas d'appétit. Il frémissait à l'idée de retourner au lycée, avec ses cours barbants, ses professeurs sévères et ses élèves hautains. Il se réconforta en se disant qu'il ne lui restait qu'un an. Une année avant la récompense de ses efforts ; en voyant le nom de l'établissement sur son dossier, les universités ne pourraient que l'accepter. Une année, et il quitterait Delphos pour toujours. Une année, et il pourrait être libre.

Son père le déposa à 7 h 40. L'endroit était désert, contrairement au lycée public. Personne ne traînait devant les grilles. Avant que Colin ne sorte de la voiture, son père l'interpella :

— Passe une bonne journée, et rapporte-moi les meilleures notes !

Colin eut un sourire contrit. Son père s'éloigna dans son vieux tacot au moteur tonitruant. C'était le prix à payer pour que Colin reste à Saint-John. Le lycée privé de Delphos était l'un des plus de l'État. Une mention dans le dossier multipliait la chance d'être accepté dans une prestigieuse université : Yale, Harvard, Brown... Tant de noms dont on avait seriné Colin depuis sa tendre enfance. Ses parents avaient même aménagé un coin sur le dessus de la cheminée, pour y poser une photo de sa cérémonie des diplômes, dans quelques années. Comment leur dire que Colin ne rêvait que d'une petite fac d'état, où il aurait la paix ? L'inscription à Saint-John coûtait une fortune, mais rien n'était trop beau pour le fils unique des Hogan. Colin détestait l'endroit : uniforme obligatoire, règles strictes et entraînement militaire deux fois par semaine. Il avait tenté de négocier avec ses parents, au moins pour prendre la littérature en option à la place du sport, mais ça aussi, c'était un sujet à ne pas aborder.

Avant d'entrer, Colin épousseta son blazer et redressa l'insigne accroché sur sa poitrine. Ce badge, on le lui avait remis solennellement avant l'été. Chaque année, une poignée parmi les élèves les plus âgés se voyaient attribuer le rôle prestigieux de médiateur de bonne conduite. Un titre pompeux qui octroyait la responsabilité de surveiller les autres adolescents et de distri- buer des heures de colle. Colin figurait sur le tableau d'honneur, n'avait jamais loupé un seul jour de cours, et son exemplarité était louée par tous ses professeurs. Il avait accepté le badge pour rendre fier son père et ordonner aux garçons qui le traitaient de fayot de faire des pompes.

Jefferson's worldWo Geschichten leben. Entdecke jetzt