Chapitre 8

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Sherlock avait toujours eu une solution à tous ses maux. Non pas la drogue, même s'il est vrai qu'il y avait souvent recours lorsque quelque chose le dépassait, mais une solution bien meilleure pour la santé qu'elle soit physique ou mentale.

Il traîna des pieds jusque dans le salon, ou plus précisément jusque son fauteuil, ayant passé ce qu'il considérait désormais comme la nuit dans celui de John. Celui-ci s'était transformé en lit, Sherlock passant ses rares moments endormis roulé en boule dessus. Le couloir qui menait à sa chambre semblait si long, il ne l'empruntait que pour se rendre aux toilettes et encore, de plus lorsqu'il se retrouvait enfermé seul dans la pièce sombre il n'arrivait pas à trouver le sommeil.

Une fois arrivé à son fauteuil, il se laissa tomber dans le coussin si accueillant ; l'effort qu'il venait de fournir l'avait vidé de toutes ses forces. D'habitude il préférait rester debout pour s'adonner à son divertissement préféré, mais se relever semblait pour le moment être une tâche insurmontable.

Dans une position loin d'être gracieuse, Sherlock étendit son long corps afin d'enrouler ses doigts fins autour du manche de l'objet qu'il convoitait tant. Il attrapa l'archet au passage sachant que s'il devait se déplier autant à nouveau il déciderait très probablement de tout abandonner.

Il pinça distraitement les cordes un instant, s'apercevant que certaines nécessitaient d'être accordées avec plus de précision. Il rangea cette idée au chaud dans son palais mental, l'ignorant tout de suite après.

Son esprit lui paraissait nuageux, c'était exactement comme cela qu'il le décrirait s'il se décidait à parler à qui que ce soit. Nuageux. Il était encore lui, Sherlock Holmes, le Sherlock Holmes, avec ses pensées incroyables et ses connaissances sans presque aucune faille. Mais tout, chaque petite action qu'elle provienne de son esprit ou d'une partie de son corps, était brumeux. Tout se faisait difficilement, presque à l'aveugle, dans le brouillard, au ralenti, sans aucun but précis, sans aucune précision tout court. Il avait raté du thé ce matin. Enfin il avait laissé la théière bouillir et lorsque celle-ci s'était mise à hurler, il n'avait pas bouger, pensant intérieurement que John serait dérangé par le bruit avant lui et irait s'occuper de son thé. Puis la réalité lui était revenue brutalement en pleine face. Et après s'être pris en pleine poitrine l'équivalent d'un train qui renversa et écrasa tout son corps, il avait arraché la théière du feu et dans son mouvement bien trop brusque pour la brume de son cerveau et l'avait laissé tomber dans un grand fracas sur le sol. C'était finalement Mrs Hudson qui était montée en trombe dans l'appartement pensant d'abord corriger Sherlock quant à l'entretien de son parquet mais finalement s'assurant à plusieurs reprises qu'il ne venait pas de s'ébouillanter.

Toutefois, au moment même où l'archet caressa les cordes, ses mouvements devenaient plus sûrs, plus calculés, comme s'ils étaient aussi simples et naturels que de respirer. La pulpe de ses doigts se baladait sur les frettes sans aucune difficulté apparente. Certes, la partition qu'il venait d'entamer était assez technique, mais elle ne lui posait aucun problème.

Il ne reconnu la musique qu'il était lui-même en train de jouer que quelques secondes après la toute première note. C'était celle de John. Celle que John écoutait toujours du début à la fin. Celle qu'il jouait lorsque John était moyennement en colère contre lui et qui le faisait rester dans la pièce avec lui. Celle durant laquelle John gardait les yeux soit fixés sur Sherlock soit sur un point quelconque -qui se trouvait être principalement le fauteuil du détective- dans la pièce, prouvant qu'il écoutait avec une grande attention. Celle que Sherlock jouait les rares fois où John s'autorisait à faire transparaître les émotions qu'il cachait le plus en société, notamment son désespoir lorsqu'il revenait d'un séjour chez sa sœur, son inquiétude pour elle, sa tristesse aussi parfois, et sa fatigue émotionnelle. Celle qui faisait sourire John les jours où il en avait le moins envie. Celle qui était si naturelle à jouer. Celle de John.

Parfois même, lorsqu'il performait en pleine nuit, il entendait John se retourner dans son lit, se lever prêt à descendre et déverser sa rage sur Sherlock et ses horaires décalés, puis se raviser devant la porte la main probablement déjà sur la poignée, et retourner s'asseoir au pied de son lit. Il chérissait tous ces moments où il s'imaginait John en train de l'écouter, son sourire en coin dérangeant ses lèvres si fines et cassant la symétrie quasiment parfaite de son visage, ses doigts tapotant en rythme sur le matelas comme il les avaient vu faire sur l'accoudoir du fauteuil, ses yeux fixant droit devant lui, cherchant par moment ceux de Sherlock.

Ce soir, au fur et à mesure que les notes s'enchaînaient, Sherlock laissait son imagination le posséder.

Il imagina John comme il se l'était représenté plusieurs fois grâce aux bruits étouffés qui parvenaient de sa chambre, et connaissant parfaitement son ami, il pouvait facilement se figurer chacun de ses faits et gestes.
Il le voyait très clairement bailler et frotter nonchalamment son début de pilosité faciale qu'il s'empresserait de raser une fois complètement réveillé. Il imaginait ses yeux rouges et gonflés par le sommeil, cligner à maintes reprises de sorte à s'adapter à la luminosité de la pièce. Il pouvait le voir bouger le haut du corps d'une manière presque imperceptible en rythme avec la mélodie. Il le voyait accompagner ses mouvements de tête par ses doigts glissant sur sa cuisse. Il le voyait sourire lors de ses passages préférés.

Il voyait ce qu'il n'avait jamais vu mais toujours imaginé.

Et à présent, il ne lui restait plus que cela ; l'imagination. Il pouvait tout jouer ; passant du générique d'une série quelconque à l'œuvre la plus célèbre de Bach, John ne serait plus là pour le regarder, lui sourire, et l'écouter performer. 

(John peut dire dans une lettre (lettre ou il se plaint de Mary et dit que Sherlock est mieux) qu'il a bien compris que la chanson était une que Sherlock avait composé à partir de tous les passages préférés de John dans les partitions que Sherlock jouait, mais que ça faisait partie de ce genre de choses dont ils ne parlaient jamais alors il ne l'avait jamais mentionné mais il le savait quoi)

Pourquoi pensait-il à cela ? Ah oui. Mrs Hudson était en train de se déplacer à l'étage du dessous. Sa démarche était inhabituelle ; son pas était plus lourd. Évidemment, elle n'était pas contente. Mais pas assez remontée pour décider de venir se plaindre. Elle ne se plaignait plus de rien depuis la disparition de John. Il devait être si tard.

Sans s'en rendre compte, Sherlock s'était levé durant sa performance. La musique le transportait, il n'en pouvait rien. Et puis au moins il ne l'avait pas ressenti comme un effort. Il se retourna en rythme et vit par la fenêtre que la nuit était tombée depuis plusieures heures déjà. La rue était vide, les lampadaires allumés, les appartements voisins éteins. Il devait être tard, très tard, assez pour que Mrs Hudson décide de se plaindre finalement. Il arrêta de jouer et posa son violon à ses pieds, ne quittant jamais l'extérieur des yeux.

Il était incapable de déduire l'heure exacte qu'il était, ou peut-être l'était-il, mais à quoi bon essayer ? 

Baker Street était si calme. Pas un passant, pas un taxi, pas même un chat ou un rat. Peut-être quelques sans-abris au loin qui semblaient ne pas du tout regarder dans cette direction, mais rien n'était tout à fait sûr.

Combien de fois John et lui avaient-ils courru dans cette rue ? Combien de fois s'étaient ils rués jusqu'à la porte après avoir échapper à des malfrats ? Combien de fois étaient-ils repartis tapis dans l'ombre après avoir aperçu l'une des voitures de Mycroft devant l'appartement où déduit sa présence de loin ?

Tout était John. L'appartement était John. La musique était John. La rue était John. Londres entier était John.

Sherlock le savait ; la vie venait de lui couper les jambes, il lui fallait trouver un autre moyen de se relever.

The Sound Of Silence Dove le storie prendono vita. Scoprilo ora