Chapitre 2

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Depuis l'annonce de la terrible nouvelle, depuis la seconde où il a su que John ne ferait plus partie de sa vie, Sherlock avait senti son monde s'effondrer.

Il ne l'avait pas cru au début. Non, ce n'était pas possible, ce n'était même pas concevable. C'était un mensonge, une plaisanterie, un racontard. John ne pouvait pas... John était John. Comment aurait-il pu faire une chose pareille ?

Il avait rigolé. Ce qu'il s'expliqua plus tard comme étant une réaction nerveuse. Mais face au visage mi impassible mi désolé de la jeune médecin ayant probablement bien trop l'habitude d'annoncer de tels drames, se tenant devant lui, ses yeux s'embuèrent de larmes petit à petit, avant que tout autour de lui ne devienne flou.

Il ne pouvait pas le croire, il ne voulait pas le croire, mais tous ses sens percevaient que c'était la vérité. Ses oreilles s'étaient mises à bourdonner. Au départ, cela lui était supportable, puis il avait l'impression de n'entendre que ce bruit affreux qui s'insinuait de plus en plus dans son crâne au fur et à mesure que sa vision s'altérait.
Il était seul au milieu du couloir d'un hôpital, ne voyant plus rien, n'entendant plus rien, ne sentant plus rien, n'ayant plus aucun goût dans la bouche, et ayant perdu la capacité de parler et de se déplacer.

Tous ses sens étaient morts ; et c'était exactement comme cela qu'il se sentait.

Il n'eut aucune idée de la durée de l'absence qu'il venait d'avoir, seul, debout dans ce couloir. Cependant, dès lors qu'il revint enfin à lui, il se mis directement en quête du héros de la pire histoire qu'on ne lui avait jamais racontée.

Il oublia tout, de son nom à son statut. Il n'était plus l'impassible Sherlock Holmes, le grand détective que rien n'atteignait, dont le cerveau était merveilleux mais le cœur aussi froid que celui de son frère. Il n'était plus qu'un homme, perdu et esseulé dans un couloir aux murs aussi blancs que sa peau, vide de tout, sans aucun désir si ce n'était celui de revenir quelques heures en arrière.

Il avait marché. Il s'était déplacé, droit comme un "I", les bras ballants le long du corps, comme s'il avait vu un revenant, jusqu'à la chambre de John. Il ne savait pas vraiment où elle se trouvait, mais son corps l'y conduisait, tout seul.

Fantomatique, il était entré dans la pièce. Pas sûr d'en avoir le droit, mais certain de n'en avoir que faire. Des médecins, infirmiers, ou personnes d'autres professions autour de lui, qui s'afferaient à tout un tas d'actions pour lesquelles il n'avait aucun intérêt, devaient probablement être en train de lui parler, de lui indiquer la sortie. Il ne les entendait pas, il ne les voyait pratiquement pas non plus. Il n'avait d'yeux que pour John. John, reposant, là, sur le pauvre lit, un simple drap fin recouvrant son corps. Sa peau était grise, ses lèvres tiraient vers la même couleur. Son visage, d'habitude animé par ce petit quelque chose qui le rendait si spécial, était éteint, pour toujours.

Il sentit qu'on l'attrapa, que quelqu'un, ou peut-être plusieurs personnes, essayait de le tirer hors de la pièce. Il ne se débattait pas, toutefois il leur résistait. Possiblement, son corps avait décidé de ne pas se laisser faire. Il ne savait pas. Et il s'en moquait royalement.

Il réussit à s'avancer encore, à étendre la main, voulant attraper celle de John. Un contact, c'était tout ce qu'il désirait. Un ultime contact.

Il passa ses doigts sous le drap et à peine eurent-ils effleuré la peau de John que Sherlock sentit se frayer en lui un sentiment encore plus désagréable que tous les précédents. La peau était glacée, il s'y attendait. Mais elle était bien trop froide bien trop tôt. John n'était pas mort à l'hôpital. Non. Il était mort avant.
Il ne put s'empêcher de penser que s'il avait réagi plus vite, s'il avait couru plus vite, s'il avait contacté les secours plus vite, John aurait peut-être eu la possibilité d'arriver plus tôt, d'être soigné plus tôt. John ne serait pas mort. Or, John l'était. Et tout était de sa faute.
Il avait le désir atroce de taper dans les murs. De détruire tout ce qui pouvait exister autour de lui, et lui avec. De frapper de toutes ses forces, jusqu'à tout démolir, jusqu'à se casser les phalanges, jusqu'à ce que son corps saigne comme son cœur saignait.

Sherlock s'effondra. Peu importaient les mains qui le tenaient, peu importaient les yeux qui devaient se trouver fixés sur lui, tout son être s'écrasa sur le sol. Le détective se sentit mourir ; son corps s'arrêta. Il ne se débattait plus. Il ne forçait plus. Non. Il s'était arrêté. Tout venait de s'arrêter.

Agenouillé devant ce qui n'était plus que la masse corporelle de son défunt meilleur ami, Sherlock perdit tout contrôle de lui-même. Son front tomba sur le bras de John dont il tenait encore la main. Avec lui, tout son corps s'affaissa ne tenant seulement que sur cette petite partie de son visage. Il était appuyé contre son ami, ses épaules se soulevant et s'abaissant dans un rythme endiablé en même temps que les sanglots ravageaient son être.

Sa tête était collée sur le bras de John, comme enfouie dans celui-ci, comme s'il cherchait à rentrer le plus possible à l'intérieur de lui, à s'incruster dans sa peau, à trouver un moyen pour ne jamais pouvoir se détacher de lui, pour qu'il revienne et que tout soit comme avant. Il désirait une sorte de contact, comme si John allait passer son bras autour de ses épaules et le serrer fort contre lui. Comme si John allait le rassurer. Il voulait que John le prenne dans ses bras, qu'il le câline, le réconforte, tout en sachant pertinemment que cela ne se produirait pas. John ne bougerait pas. John n'était même plus dans la capacité de bouger. Et Sherlock non plus.

Il voulu crier mais n'en fut capable. Sa bouche était grande ouverte et ses cordes vocales tiraient et se tordaient. Toutefois, aucun son ne sortait. Plus il forçait, plus il sentait son cerveau s'exciter. Mais malgré tous ses efforts, l'aphasie gagnait.

John était mort, et Sherlock commençait déjà à périr ; il ne venait pas seulement de perdre son ami, il venait de perdre toute sa vie.

Il ne sut pas combien de temps il était resté dans cette position. Les hommes autour de lui avaient décidé de lui laisser de l'espace et de la tranquillité. Celui qui se tenait devant eux était bouleversé.
Ils étaient simplement partis de la pièce, regardant par moment par la fenêtre de la chambre, ne voyant rien d'autre qu'une masse informe sanglotante et avachie sur le sol. Ils avaient déjà eu à faire à des larmes, des cris, des gens endeuillés, ou même dans le déni, à chaque fois qu'ils venaient récupérer un corps, car tel était leur métier, mais jamais -et ils pouvaient tous le jurer- jamais ils n'avaient vu quelqu'un autant dévasté, autant anéanti que Sherlock Holmes face au cadavre de John Watson.

The Sound Of Silence Where stories live. Discover now