Chapitre 14

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La discussion avec Lestrade avait été un vrai calvaire. Pendant une vingtaine de minutes le policier lui avait posé tout un tas de questions et avait refusé de passer à autre chose tant qu'il n'avait pas eu de réponse. Puis, Mycroft était arrivé. Le regard qu'il avait lancé à Sherlock en entrant dans la pièce avait alourdi le cœur du cadet des Holmes, si bien qu'il lui fut nécessaire de se retirer quelques instants dans sa chambre. Assis au milieu des habits qu'il avait sorti quelques minutes plus tôt et qui traînaient un peu partout sur son lit, Sherlock prenait de grandes respirations.

Il ne pensait pas avoir déjà mis autant de temps à s'habiller qu'aujourd'hui avant de faire face à Greg Lestrade. Il avait redouté le moment où ils se retrouveraient assis l'un à côté de l'autre et où Greg essaierait de faire ce que John avait finit par laisser tomber ; faire parler Sherlock. Ce dernier n'aimait pas se confier, et certainement pas lorsqu'il était obligé de le faire. Au fil des années, il avait appris à aimer raconter certains détails de sa journée ou de sa vie à John. John écoutait toujours, et n'avait jamais peur de lui dire quand il était ennuyant. Sherlock était rarement ennuyant ; il était sûr que John lui faisait ce genre de remarque seulement pour l'embêter.

Mais John pouvait faire toutes les remarques. Il pouvait demander à Sherlock de s'asseoir et lui parler d'un sujet très précis et personnel et Sherlock le faisait. Certes, il se montrait à chaque fois récalcitrant, mais si c'était important pour son ami, il était prêt à aller au delà de ses principes.

Avec Greg, c'était une autre histoire. Il était policier ; il avait passé des heures en salle d'interrogation à faire parler tout un tas de suspects sur des affaires plus sordides les unes que les autres, il savait où appuyer pour découvrir tous les secrets de n'importe qui. Toutefois, lorsque c'était à Sherlock qu'il posait les questions, il y avait dans sa voix, son regard, et sa posture, de l'attendrissement et de la compassion. L'une des choses qu'haïssait le détective consultant était qu'on ressente de la pitié à son égard, mais il n'avait ni la force ni l'envie de faire la moindre remarque à Greg. Greg était une bonne personne ; ce n'était pas John, mais c'était quelqu'un de bien.

Lorsqu'il avait été en train de s'habiller, Sherlock l'avait entendu parler à Mycroft au téléphone. Évidemment, Lestrade avait cafté. John, lui, n'avait jamais appelé Mycroft pour se plaindre de Sherlock.
Même s'il avait entendu quelques bribes de leur discussion, le détective ne s'était pas attendu à voir son frère débarquer sans prévenir chez lui.

C'était pareil depuis qu'ils étaient enfants ; Mycroft ne pouvait pas s'empêcher de s'introduire de force dans la vie privée de Sherlock, de vouloir jouer les grands frères protecteurs, de tout savoir tout le temps pour pouvoir soit le protéger soit se moquer de lui -et parfois les deux en même temps. Certes, il n'y avait pas que des inconvénients. Au fil des années, Mycroft avait réussi à se montrer utile, comme la fois où il avait usé de sa position d'homme politique pour faire en sorte que Sherlock rentre à l'université alors qu'il n'avait pas encore l'âge. Mycroft qui rendait un service, ce n'était pas étonnant pour Sherlock ; il aimait se sentir puissant, nécessaire, indispensable. C'était rarement par amour fraternel qu'il offrait son aide à son cadet, mais plutôt pour que celui-ci reconnaisse à quel point il était important.

Parfois, Mycroft prononçait une phrase qui laissait Sherlock à la fois bouleversé et perplexe. Comme lorsqu'il lui disait que le perdre briserait son cœur. C'était sûrement vrai. Il s'était tellement impliqué dans la vie de son cadet que s'il venait à disparaître, sa vie changerait. Mais Mycroft, l'homme au cœur de glace, l'homme si impassible que même Sherlock paraissait hypersensible à côté de lui, passerait à autre chose. Il était assez intelligent pour comprendre. Sherlock n'avait jamais à lui expliquer quoi que ce soit. Mycroft savait.

L'attachement de Mycroft pour Sherlock ne changeait en rien le fait que Greg n'aurait jamais dû lui téléphoner. Pour Sherlock, c'était une trahison. Mais le pire était quelques secondes après, lorsqu'il s'était retiré dans sa chambre et que la voix de Molly se fit entendre dans le salon. Greg, Mycroft, Molly, et Mrs Hudson étaient tous les quatre chez lui, dans son propre appartement, sûrement à discuter de ce qu'il avait tenté de faire. John aurait su que dans un moment comme celui-ci, Sherlock aurait voulu de l'espace et du silence, et certainement pas qu'on organise un brunch dans son salon.

Son cœur tambourinait dans sa poitrine, sa respiration se faisait de plus en plus saccadée, il ne savait pas s'il voulait pleurer ou frapper de toutes ses forces la première personne qui oserait lui adresser la parole. Comment osaient-ils ? Comment ses soi-disant amis pouvaient-ils faire comme si de rien n'était, comme si John n'était jamais mort ? Comment qui que ce soit continuait à vivre normalement alors que la vie n'avait plus aucun putain de sens ?!

- Sherlock ?

Sherlock leva la tête brusquement en direction de la porte. Ses mains tremblaient, ses poings s'étaient serrés malgré lui, et quelques larmes étaient apparues aux coins de ses paupières.

Quelqu'un s'était introduit dans sa chambre, quelqu'un avait osé s'introduire dans sa chambre. Sherlock voulait se lever, claquer la porte, et attraper le col de l'idiot qui osait s'introduire dans sa chambre.

C'était Molly. Sherlock se ravisa. Il aurait frappé Mycroft, il aurait frappé Lestrade, mais pas Molly.
La jeune femme n'avait passé que sa tête et le haut de son corps dans l'embrasure de la porte, elle attendait l'autorisation de rentrer. Quand Sherlock ne la lui donna pas, elle se tourna quelque peu et fit apparaître le tout petit visage de Rosie qu'elle tenait dans ses bras.

- Papa Serlock ?

Instantanément, il se redressa. Il ouvrit la bouche comme pour dire quelque chose mais ne trouva rien qui valait la peine d'être prononcé. Il ne pouvait pas seulement dire bonjour à cette petite fille qu'il avait côtoyé chaque jour pendant des mois, des années, et qu'il avait complètement abandonné depuis la mort de John. Elle avait perdu son père. Et voilà qu'elle perdait celui qui l'était presque. Sherlock lui devait des excuses, il le savait, mais que dire à une si petite fille trop jeune pour comprendre où était son papa ?

Molly entra, Rosie tendit ses minuscules bras en direction de Sherlock et, instinctivement, il l'attrapa. Elle lui sourit et il lui sourit en retour. Il était sur d'être complètement en train de pleurer maintenant.

- Je suis désolé, Rosie.

Elle ne lui répondit pas. Elle lui sourit simplement. Molly pensa qu'elle aussi allait se mettre à pleurer et posa sa main sur l'épaule de Sherlock, puis la retira pensant qu'il allait faire une remarque ou lui lancer l'un des regards assassins qu'il maîtrisait à merveille, mais il ne fit rien de cela, alors elle le toucha à nouveau.

- Quand Greg m'a appelé, j'ai pensé que tu voudrais peut-être revoir Rosie.

- Tu as bien fait.

Sherlock embrassa la joue de la petite fille. En réponse, elle se colla un peu plus contre lui et posa sa tête sur son torse.

- Merci de t'occuper d'elle.

- Elle est adorable. Et ça me fait de la compagnie.

- Je sais que tu prendras toujours bien soin d'elle.

- À chaque fois que tu en auras besoin, Sherlock.

Et Molly sourit à Sherlock, et Sherlock sourit à Molly. Des sourires qui n'atteignirent pas leurs yeux. Des sourires de menteurs complices du même crime.
Molly appuya sa tête contre l'épaule de Sherlock, qui ne fit aucun geste pour se dégager, mais qui serra un peu fort contre lui la fillette assise sur ses genoux. Molly ne prit pas la peine d'essuyer la larme qui coulait sur sa joue. Elle savait.

The Sound Of Silence Onde histórias criam vida. Descubra agora