Le petit copain

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~Erell~

Dans l'appartement, c'est la panique. Je cours partout pour que chaque pièce soit rangée et qu'aucun grain de poussière ne recouvre le sol. A chaque fois que je range un objet, j'ai l'impression qu'un autre apparaît autre part, et je me précipite pour qu'il disparaisse. J'aurais bien aimé que mon père ou Catherine m'aide à faire le ménage, mais apparemment je dois me débrouiller seule. Après tout, c'est mon invité. Après lui avoir délivré tous mes arguments pendant de longues heures, Solal a enfin accepté de venir chez mon père pour qu'on travaille sur l'exposé. Je ne sais pas pourquoi il était si réticent à l'idée de venir. Je comprends qu'il ne veuille pas me voir parce qu'on se connaît à peine, comme il me l'a fait savoir, mais on est un peu obligés de travailler. Ce n'est pas comme si je lui demandais d'être ami avec moi. Il a l'air effrayé par les relations humaines. On dirait qu'il a été élevé dans une grotte et qu'il n'a jamais parlé à personne. Même à ses amis, il ne dit pas un mot.

— Erell ! m'appelle mon père. Ton petit copain est là ! Tu peux entrer, elle t'attend, ajoute-t-il à l'interphone.

— Me dis pas que t'as crié « petit copain » alors qu'il pouvait tout entendre ? je m'assure, légèrement paniquée.

— Si, pourquoi ?

— C'est pas mon copain ! Ça fait dix fois que je te dis que c'est juste un gars de ma classe. T'étais pas obligé de le crier, il va croire des choses après.

Je lâche un long soupir, très bruyant, pour lui signifier le fond de ma pensée. Il hausse les épaules, comme si ça n'avait pas d'importance, et retourne s'asseoir sur le canapé avec Catherine. Je prends une grande inspiration pour éviter de lui crier dessus et me dirige dans ma chambre, enfin la pièce qui m'est attribuée pour dormir deux fois par mois, pour vérifier que tout est en ordre. Aussitôt, la sonnette de la porte d'entrée retentit. Je me précipite pour aller lui ouvrir.

Ses cheveux bruns sont toujours en pagaille et ses yeux marron fuient les miens. Je lance un « salut » avant que la situation ne devienne trop gênante. Je ne peux m'empêcher de penser que je parais minuscule à côté de lui. Et puis, je le laisse enfin entrer parce que c'est étrange que je le laisse sur le pas de la porte.

— Je suis désolée pour ce qu'a dit mon père, je me justifie en me rappelant les dernières minutes. Il a rien compris à ce que je lui ai dit. Mais bon... Tu dois savoir ce que c'est les pères, non ?

Ses yeux s'assombrissent et il secoue la tête.

— Non, je sais pas.

— Comment ça ? je réponds aussitôt, sans pouvoir m'en empêcher.

— Il est mort.

C'est vrai que je suis douée pour dire ce qu'il ne faut pas.

— Désolée, j'essaie de me rattraper. Désolée d'avoir posé la question.

Il se retourne pour clore la discussion. Très bien, on va faire comme s'il ne s'était rien passé, je pense que c'est mieux pour tout le monde. Je l'emmène dans le salon, pour qu'il rencontre mon père et ma belle-mère. Il lance un faible bonjour et eux répondent sans lever les yeux de leur feuilleton. Génial, c'est vraiment très poli. Alors que j'entre dans le couloir qui mène aux chambres, mon père lâche :

— Faîtes pas de bruit, Adélaïde dort.

J'acquiesce. Je m'engouffre alors dans ma chambre, qui est en fait un bureau. Elle est meublée d'un canapé-lit collé devant la fenêtre, d'une table de nuit et d'un bureau avec une chaise et un ordinateur.

— Bienvenue dans ma chambre, dis-je en tournant sur moi-même.

— Sympa, répond-il, sceptique, en observant les murs blancs.

Nos sentiments voilésWhere stories live. Discover now