La rencontre

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~Solal~

Après sept ans sans l'avoir vue, je vais enfin pouvoir retrouver Maman. Je ne sais pas trop quand je le réalise. En fixant la date avec Jean et Alexandre, en réfléchissant à ce que je vais lui dire, en montant dans la voiture ou en ouvrant la porte de sa chambre ? J'imaginais qu'elle serait allongée dans son lit, comme la dernière fois où je l'ai vue, mais elle est assise sur un fauteuil inconfortable, un livre à la main. Elle lève les yeux vers moi et j'ouvre la bouche, sans autre réaction. Elle est toujours la même, avec ses cheveux noirs attachés en un chignon bas, ses vêtements dépareillés, son pendentif en forme d'oiseau que je lui offert quand j'avais huit ans et sa bague de fiançailles, souvenir de mon père. La fatigue la rend plus vieille et les rides autour de ses yeux se plissent quand elle me sourit. J'esquisse un sourire timide et quelqu'un pose sa main dans mon dos pour me pousser. Les larmes menacent de couler alors que je m'avance vers elle.

Elle s'extirpe du fauteuil et, à deux centimètres l'un de l'autre, nous nous fixons. Je n'ose faire un geste, de peur que tout ça ne soit qu'un rêve. Et puis, une larme jaillit de ses yeux et elle me prend dans ses bras. Aussitôt, je fonds en larmes et je souris en même temps. Maman me fait un câlin. Et je redeviens un enfant. Je la sers de toutes mes forces, je ne veux pas la lâcher, je n'ai pas envie qu'elle s'en aille. J'inspire dans ses cheveux et un parfum de cannelle envahit mes narines. Un souvenir refait surface et je me revois, bambin, enlacer Maman qui me rassure : Ne t'inquiète pas, je vais bien. Je n'arrive pas à savoir si c'est le moi enfant ou le moi adulte qui comprend, mais je sais qu'elle ment.

— Solal... souffle-t-elle en posant ses mains sur mes joues. Tu es devenu... Tu es si grand, et si beau. Et... Oh, tu es magnifique et je suis désolée. Tellement désolée.

Elle essuie mon visage et je me répète ses paroles, pour ne pas oublier sa voix. Des années à tenter de la reconstruire dans ma tête, sans jamais y parvenir. Je n'arrive pas à croire qu'elle est là, devant moi. C'est étrange. J'ai si longtemps rêvé ce moment que je ne distingue plus mes rêves de la réalité. Mes mains tremblent tellement que tout le bâtiment pourrait s'écrouler si je touchais un mur. En vérité, mon corps entier est envahi de soubresauts. J'ai l'impression que je vais faire une crise d'angoisse, ça commence toujours comme ça. Pourtant, je sais que mes symptômes ne sont pas ceux d'un accès de panique. C'est juste que je ne peux pas m'exprimer autrement. Ce n'est pas seulement mon âme qui est touchée par nos retrouvailles, c'est mon corps.

Nous parlons longtemps, de futilités, comme si tout était normal et finalement ça me semble l'être. Je l'observe longuement, cherchant les différences et les ressemblances avec l'image que je me suis fait d'elle tout au long de ma vie dans mon esprit. Elle est toujours aussi belle mais quelque chose a changé. Ce n'est pas physique mais j'ai beau chercher, je ne comprends pas. Comment pourrais-je comprendre alors que les derniers souvenirs que j'ai avec elle étaient ceux de mon enfance ? Je ne peux me fier qu'au présent. Et pour la première fois de ma vie, ça ne me dérange pas. J'ai toujours vécu en pensant au passé, le plus souvent, ou alors au futur, en imaginant revoir ma mère. Je n'ai jamais réellement vécu le présent. Je me contentais de le subir. Enfin, il faut quand même que j'avoue que la présence d'Erell m'a appris à apprécier le présent également. Mais aujourd'hui, je sens que le passé restera passé pour toujours. Je n'y ferais plus autant attention, ou au moins, je n'y vivrais pas.

Avec elle, dans sa chambre d'hôpital, le temps semble s'être arrêté. Je lui raconte ma vie, mes tuteurs, Nairobi, le lycée et les garçons. Elle m'écoute, commente et me regarde tendrement. Je ne m'étais pas senti aussi libre depuis longtemps. Parce que je fais enfin ce que je veux. Parce que je peux enfin me confier à ma mère. Néanmoins, je ne lui parle pas d'Erell. Je ne suis pas certain de vouloir lui avouer mes sentiments, c'est déjà assez compliqué à me l'avouer à moi-même. Et puis, je sais que j'ai fait une erreur la dernière fois. Et je ne veux pas la décevoir. Je ne veux pas que ma mère sache que je fais du mal aux autres et que je suis un lâche. Surtout pas.

Nos sentiments voilésWhere stories live. Discover now