Chapitre 16 - Les discours des Énias

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À la nanoseconde où l'Énia Otep Myve se leva dans le but de se joindre au débat, Ayk, instantanément, resserra encore plus ses doigts. La pression qu'il exerçait sur ces pauvres phalanges était telle que son voisin Dash entendait, distinctement, le broiement du cartilage ; l'Hano (Génie en mécanique) commençait à stresser.

Effectivement, le jeune Aphte ne connaissait que trop bien cette personne. L'intervenant détenait à son actif des milliers d'heures de garde à Ilweg. Et sa maintenance régulière des turbines avait métamorphosée son tissu musculaire. En conclusion, il était quasi improbable de soupçonner qu'un tel baraqué n'ait que quinze ans et neuf mois. Ajouté à cette stature bodybuildée, une voix rauque et un vocabulaire convenable qui augmentaient considérablement le respect des autres envers lui. En résumé, c'était cet ensemble de faits qui maintenait Otep, au rang d'Hano en Chef à Ilweg, depuis trois ans. Et maintenant, cet imposant personnage s'apprêtait à discourir.

Or, Cowe junior connaissait les convictions de son supérieur. Dès lors, il devina, sans peine, le contenu des propos que celui-ci se préparait à prononcer à l'assistance de l'Instéo. Le Chef Hano amorça, compatissant :

— Affectueux camarades ! En cette période de crise, nous comprenons que chaque habitant et, plus encore, que chaque Énia se porte volontaire pour aider, à ne serait-ce que surseoir la catastrophe qui plane constamment sur nous.

La seconde qui suivit, Myve inspecta furtivement quelques visages dans la salle, pour s'assurer qu'il avait bien toute leur attention. Et comme pour chaque participant avant lui, son intervention était projetée sur l'écran holographique géant de l'amphithéâtre. À l'instar du modèle original, l'hologramme faisait ressortir le charisme du mécanicien. Quant à sa gestuelle, elle signifiait, à chaque sage, qu'il avait obligation de l'écouter.

Puis à ce stade, il reprit son discours, avec un ton plus vif :

— Mais, est-ce vraiment, je dis bien, vraiment, une raison pour encourager des missions suicides ?

Cette interpellation, bien qu'elle ait été une interrogation oratoire, entraîna cependant une réaction spontanée du public. En réponse, beaucoup secouaient répétitivement la tête, de gauche à droite, pour exprimer leur refus d'encourager pareils agissements infructueux.

Toutefois, le Génie en mécanique Myve voulait encourager une prise de position ferme. En conséquence, il souligna avec force :

— De plus, en ce moment, il nous est impensable de nous séparer, même momentanément, d'un Hano tel qu'Aphte Cowe, au sein d'Ilweg !

Arrivé à la phase finale de son argumentation, le débatteur fixa directement la caméra flottante, placée face à lui. Son corps entier vibrait de confiance : son visage respirait la sympathie, ses gestes s'accordaient parfaitement avec ses idées et son timbre chaux tonnait, à faire pâlir tout déviant. Il clama donc :

— La production de l'énergie lynique, actuellement nécessaire au maintien du bouclier Adrastée, ne doit absolument pas être ralentie ! Car, il en va de la survie de tous !

Séance tenante, des tonnerres d'applaudissements louèrent la justesse dudit exposé. L'arène des pourparlers s'inonda des percussions joyeuses, auxquelles les circonstances n'autorisaient guère des sifflements jubilatoires – sinon, l'enceinte en aurait également fait les frais.

Suite à cela, Otep se rassit, enchanté que ses conseils aient été appréciés.

Ensuite, Aalag la médiatrice appela à nouveau au silence. Peu après, elle permit une nouvelle fois, au Maître Hano Aphte, de s'adresser à ses pairs.

Jusqu'à présent, l'Énia Otep avait toujours eu des paroles éclairées. Néanmoins, ce coup-ci, aux yeux d'Ayk, il se trompait. D'ailleurs, le fils Cowe était bien déterminé à le faire savoir, au Chef Hano ainsi qu'à l'ensemble des sages de Tora :

— Aujourd'hui, plus encore, j'appelle à votre sagesse et discernement !

Sans tarder, le jeune Aphte laissa son corps traduire librement ses émotions. Les mains tendues vers la foule, il déploya, grandement, ses bras, pour illustrer qu'il était ouvert à l'échange. Et tout le long de son allocution, l'Énia Hano Ayk veillerait à regarder chaque personne qui composait l'auditoire, pour maintenir leur attention.

— Nous tous, ici présents, nous savons indubitablement qu'il ne nous reste plus beaucoup de temps. Néanmoins, c'est, notre, génération de sages qui a le devoir de trouver une solution !

Conjointement avec ses paroles, l'Énia Cowe s'impliqua dans cette lourde responsabilité. Il se désigna, même, parmi les premiers concernés, par la pose de sa paume droite ouverte sur son torse.

— Oui ! certifia Aphte, avec hardiesse. Certes, la prochaine génération, possèdera l'habileté des Énias. Mais, sans doute, pas l'expérience nécessaire pour éradiquer ce fléau, qui empoissonne notre terre-mère, depuis plusieurs siècles.

Assurément, le Génie en mécanique Ayk venait d'évoquer une regrettable réalité. Les sages d'Instéo n'étaient pas exemptés de l'application du décret, relatif à l'âge global du décès. Conséquemment, l'actuelle assemblée était composée des Toraïtes âgés, approximativement, entre neuf et seize ans. Dans ces conditions, même le plus gradé d'entre eux ne possédait que trois barres d'ancienneté à son fourreau.

De ce fait, avec le temps, malgré des dispositions naturelles inhérentes à leur statut, les futurs Énias risquaient fort bien de manquer d'expérience. À ce moment, pour faute d'exercice suffisante de leur métier, les applications du savoir-faire des prochains « sages » seraient difficiles ; sauver To, encore plus.

Consécutivement à une telle allocution, Aphte pouvait, dorénavant, compter quelques voix en sa faveur. Présentement, dans les rangées de gradins, il était possible d'apercevoir quelques dissensions. Et l'immense mur de l'institut réfléchissait certains murmures qui parvenaient aux oreilles du mécanicien, comme de faibles échos. En d'autres circonstances, il n'y aurait pas été attentif. En revanche, vu qu'il se trouvait être le principal concerné, l'enfant Cowe remerciait le savoir-faire maternel qui, selon lui, avait sans doute anticipé ce genre de mésaventure. En prime, côté décoration, l'adolescent trouvait que les parois murales, sans tain, donnaient une impression de coloris blanc cassé. Le tout seyait, remarquablement, avec les rideaux et autres textiles d'ameublement de la pièce.

Désormais, l'Énia Hobre (Botaniste) Kolh Mo voulait intervenir. Le jeune homme était mince et de taille moyenne. De blanc vêtu (le contexte l'obligeait), il était confiant en T-shirt, bermuda et mocassins. Son style, associé à une paire de lunettes vert olive cadre tortue, lui donnait un air d'enfant préadolescent qui environnait les neuf ans. Pourtant, les trois bandes de son fourreau d'épaule indiquaient, clairement, qu'il figurait parmi les plus expérimentés et âgés des génies Toraïtes. Du moins, il le prouva quand celui-ci souleva une question aux sonorités rhétoriques :

— En ce moment même, la recherche des Hobres au sujet de l'élaboration d'une nouvelle espèce de lyne, qui résistera à l'Isorok, est sur le point d'aboutir. Cette découverte nous fera certainement gagner quelques années, garantit le spécialiste qui, d'un tic, ajusta ses lunettes avec son index gauche. Alors, pourquoi se précipiter ?

À ces mots, Aphte C. s'engourdit. Cette position du confrère était révélatrice :

Kolh Mo n'adhère pas ! Il veut des éclaircissements, pour mieux analyser la situation.

Quelque peu troublé, des petites perles de sueur parsemaient le front de l'Hano, alors que la température ambiante avoisinait les moins deux degrés.

Discrètement, Ayk baissa les yeux et sortit, légèrement, ses aimants d'Éo de sa poche droite. Le dispositif affichait six heures précises du matin. Le constat était amer :

Quoi ! J'ai tenu seulement vingt minutes !

Aussitôt, le fils Cowe réprima son réflexe nerveux qui voulut soulever ses arcades sourcilières de stupéfaction. Apparemment, la joute oratoire fut, extrêmement brève, étant donné que la victoire lui échappait.

Les habitants de ToraOnde as histórias ganham vida. Descobre agora