Chapitre 4 - La responsabilité de l'Énia

72 8 23
                                    

C'était un jour de repos pour l'Hano (Génie en mécanique) Aphte. Une autorisation aussi rare et précieuse que les particules d'Amétis. Dès lors, il dédia cette journée à sa passion favorite : la nature représentée par l'ensemble de ses espèces végétales.

Ce matin-là, Ayk échangea sa traditionnelle combinaison antichaleur et les incontournables sécurités, contre un tee-shirt, bermuda et des tongs – évidemment, façon mode Toraïte. Le permissionnaire se voulait léger pour cette « petite exploration ». D'ailleurs, il avait comme unique bagage, suspendu au porte-clés accroché à son short : son appareil portatif à aimants d'Éo.

« Éwaléo » également surnommer les « aimants d'Éo » par le peuple de Tora, était un instrument dont la forme et la structure externe variaient selon les goûts du bénéficiaire. Chez certains, il paraissait sphérique, cubique ou cylindrique alors que d'autres le commandaient semblable à un animal et parfois même à une personne chère. Celui du fils Cowe était simplement ovale, de la taille d'un poing et recouvert complètement d'herbes courtes épaisses. Au toucher, le garçon avait l'impression d'effleurer la verdure qui couvrait quotidiennement la toiture de son logis. Alors, qu'importait l'endroit qu'il fût, dans son esprit, chaque caresse du précieux objet le ramenait chez lui, près de sa mounia Shéya.

Présentement, seul, à 4.08 Éo, dans les jardins du centre historique ou quartier Kébéré, Aphte Cowe était plutôt captivé par la beauté des floralies de l'Hobre (Botaniste) Kolh Mo. Cette exposition horticole lui donnait le privilège d'observer les nombreuses plantes à fleurs du système Oxyr.

Et parmi les merveilles répertoriées, se trouvaient les très célèbres géants iztans de la région fertile d'Ardout. Ces fleurs cousines du tournesol, dont la tige n'excédait guère les 50 centimètres, exhibaient orgueilleusement des pétales qui atteignaient la taille moyenne d'un mètre. Ce végétal spectaculaire enjolivait sa corolle des coloris qui variaient de l'or clair à l'orange profond, selon les espèces. Dans la chorégraphie florale présentée au public, cette variété s'épanouissait près de cascades miniatures, bordée par des roches diverses où surplombait une petite végétation dense et rase qui rappelait le gazon.

En l'an 7 005, la thématique des jardins portait sur l'emblème national de Tora : la fleur lyne. Vu les circonstances, cette année, Aphte s'était personnellement juré de les visiter !

C'était juste après les senteurs d'Ardout, quand Ayk délaissa, malgré lui, le ravissement des allées ombragées qui regroupaient les plantes exotiques calméennes, que l'amateur des plantes put découvrir les compositions florales de lyne.

À l'abri dans un espace couvert de vitrages, une cinquantaine d'espèces lynes fleurissaient sur un sol volcanique et par un ensoleillement artificiel généreux. Cette rose étonnante était, sur To, le produit de l'incroyable association génétique et mécanique.

En effet, l'histoire voulut que la fleur lyne, couramment appréciée par les Toraïtes, ait été le produit d'une collaboration entre l'Iténé (Généticien.ne) dénommée Mayryn Akéna et l'Hano Arake Zora. Jadis, lesdits scientifiques avaient réussi à influer sur la coloration d'une rose classique. Ils permirent ensuite à celle-ci de conserver sa couleur, même après être coupée. En conséquence, une fois la manipulation maîtrisée, le premier spécimen bien que vieux de six millénaires resplendissait autant que les lynes fraîches.

Cela était possible, car les pétales d'une lyne n'avaient pas de pigments. Elles contenaient plutôt des fils métalliques microscopiques, qui se ramifiaient de manière fractale pour former une structure en spirale. Cette forme hélicoïdale donnait à cette fleur les teintes verte, rose ou jaune, selon l'angle d'observation. Cependant, les lynes étaient généralement admirées dans leur robe vernie d'un bleu le plus impérieux du monde végétal.

Face à autant d'excellence due à une maestria biotechnologique, Ayk était perpétuellement sans voix. Subjugué, il s'assit à même le sol, prêt d'un banc public, les jambes pliées pour une éventuelle méditation ; il rêvassait.

À l'observer, la douce température des lieux et les fragrances des roses, revivifiait le jeune Aphte. Pareil pour sa chevelure, les pointes hérissées des cheveux du haut, laissés négligemment au milieu d'un contour rasé de près, reprenaient radieusement leur couleur bleu-vert. Le style « coiffure en bataille » du mécanicien gagnait maintenant en charme tandis que quelques mèches retombaient sur son front, balancées délicatement par le courant d'air.

Pour l'Hano, nonobstant que l'instant fut « parfait », la contemplation des mosaïques de lynes éveillait en lui, une fois encore, la pensée qu'il n'aurait jamais voulu être un Énia.

À Tora, chaque couple qui donnait naissance à son premier enfant transmettait à celui-ci, en plus du patrimoine génétique habituel, les composantes d'A.D.N. propre à la profession familiale.

Au moyen d'un procédé complexe qui permettait de modifier le patrimoine héréditaire d'une cellule, on confiait au premier-né, toutes les connaissances, habileté et instinct propres à la profession exercée dans sa famille. Ce descendant, fille ou garçon, à qui on léguait cette responsabilité de la succession du savoir-faire familial était appelé : Énia.

Et malheureusement pour Aphte, il a fallu qu'il fût l'aîné de la dynastie des Cowe, Hano depuis cinq générations.

Si seulement, j'étais né en deuxième position. J'aurais pu exercer le métier de botaniste que j'aime tant ! Je passerais mes journées à étudier le monde végétal ! Et qui sait ? C'est peut-être cette méthode, plus exaltante, qui m'aurait permis de sauver To.

Les yeux fermés, toujours en situation méditative, Cowe junior secoua lentement sa tête de gauche à droite. D'un geste symbolique, il espérait ainsi balayer l'intrusion de ces pensées négatives. Or, les idées noires avaient le caractère tenace. Donc, il replongea.

Hélas ! Il a fallu que je sois l'ainé et que j'oublie mes rêves. J'ai vraiment pas eu de chance !

À cet instant précis, Aphte, bien que plongé dans son introspection, céda à une intuition qui le taraudait de consulter ses aimants d'Éo portatifs.

Assurément, Éwaléo était l'appareil idéal pour l'enregistrement d'un journal personnel autant que la capture d'images statiques et mobiles. Quant aux options agenda, divertissements, logiciels et autres fonctionnalités relatives à chaque activité sur To, leur usage aisé faisait la notoriété du dispositif. Néanmoins, les aimants d'Éo servaient particulièrement d'outil de communication. Grâce à lui, il était possible d'échanger commodément des messages audio-vidéos ou holographiques sur toute la planète.

Toutefois, à la seconde où Ayk remarqua le clignotement d'un voyant rouge sur son communicateur, il bondit sur ses jambes. Et instantanément, il se précipita à toute vitesse vers la sortie, la plus proche, des jardins.

Les habitants de ToraWhere stories live. Discover now