Chapitre 18 - Le revers de la médaille

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Aphte Cowe s'attardait à l'Instéo, après la clôture de la session du jour, pour saluer ses confrères et amis avant le grand départ vers Ngatnom. En outre, il souhaitait, personnellement, remercier l'Énia Snork (historienne) Aalag. Car, Ayk en était conscient, les interventions de la médiatrice avaient été un soutien inestimable, en sa faveur.

Au passage, l'Hano (Génie en mécanique) adressa ses salutations à l'Énia Kolh Mo, pour ses récentes avancées, relatives à « la nouvelle génération » de rose lyne. D'autant qu'il en profita, pour lui rappeler sa profonde estime à son égard. Après tout, il savait que sa manœuvre visait uniquement à dissuader un ami à s'engager sur une mission précipitée et, apparemment, suicidaire.

Puis, les dernières conversations, Cowe junior les eurent avec Otep Myve. Les paroles du Chef Hano sonnaient plus aux oreilles d'Aphte, comme des consignes sécuritaires. Toutefois, Ayk y discerna une certaine inquiétude, quant à son devenir face aux dangers des terres enneigées. Ensuite, à la façon Otep, le supérieur loua pour, une énième fois, le courage et l'esprit d'abnégation du mécanicien. D'une part, le fils Cowe était « son préféré ». D'autre part, l'Énia Otep le comptait parmi les meilleurs mécaniciens d'Ilweg.

Finalement, au lieu de quelques mains tendues, très vite Ayk a été submergé d'accolades successives, par ses frères Énias. Le jeune homme reconnaissait, dans ces multiples embrassades, leur sincère amour fraternel. Sur ces entrefaites, il se laissa prendre au jeu et afficha un sourire appréciatif.

Postérieurement aux olanis, l'Énia Ayk s'assit longuement sur un des sièges du gradin. Présentement seul dans l'amphithéâtre, il s'imprégna à sa manière des émotions que lui inspira cette remarquable matinée.

En vérité, Aphte Cowe voulait se remémorer les moments partagés par : des regards parfois complices ou dépréciatifs, des murmures critiques, des odeurs suspectes et des gestes interrogateurs mais, surtout, spontanés. Ces différentes impressions captées par ses sens – ainsi que les retombées du jeu des discoureurs d'Instéo – le jeune homme les grava, profondément, dans les méandres de son lobe temporal.

Dès lors, c'était avec un hippocampe historiquement martyrisé que l'Énia Hano Aphte Cowe, dernier, franchit la sortie des locaux du Conseil. Au moment où il se retrouva à nouveau dans les jardins Iznik, les aimants d'Éo alignaient 10.30 ; quatre heures s'étaient écoulées, à compter de l'annonce du verdict.

Arrivé à mi-chemin sur « la passerelle miroir », au-dessus du lac, Cowe junior s'arrêta une seconde, pour retirer son manteau devenu superflu. En conséquence, il plia son par-dessus, en deux, et le déposa sur son avant-bras gauche. Par la suite, il remplit ses poumons d'air frais et dessina sur ses lèvres un large sourire, symbole de victoire, qui exhibait jusqu'à sa dernière dent.

En ce début de « kéléa okosni mekok » (saison des pluies d'astéroïdes), la précipitation des poussières célestes était sporadique. Et dans l'imagination du mécanicien, la chute de ces colorations éparses représentait des « paillettes » multicolores qui magnifiaient son exploit.

Poussé par une folle envie de festivité, Aphte déposa, un court instant, son manteau sur l'un des rebords du pont. Subséquemment, il dressa ses bras en forme de « V » et releva légèrement son menton, pour embrasser du visage les petites particules d'iridée. Ce petit amusement s'accompagna d'une joyeuse déclaration :

— Au final, ça pas été trop difficile, n'est-ce pas, Azora ?

Au même instant, après désactivation du mode invisibilité, une sphère apparut à côté de la frimousse d'Ayk. Suspendu dans les airs, l'objet était clairement perceptible, il s'agissait d'un entum. Et l'intelligence artificielle rétorqua à l'adolescent :

— C'est une façon de voir les choses... penser que la mise en œuvre du stratagème fut moins difficile que prévue. Surtout, si on omet le fait qu'Aalag Minite t'a, littéralement, sauvée la mise.

— J'en suis bien conscient, OK ? Et d'ailleurs, juste après, je suis allé la remercier.

— Oui, je l'ai noté. Un tel geste est, avant tout, le minimum souhaité, en pareilles circonstances.

— Alors, laisse-moi au moins savourer ! D'ailleurs, aujourd'hui, c'est quand même moi qui aie lancé les hostilités ! Même Dash en a été surpris !

— En parlant de Dashmad Ice, je l'aperçois à l'entrée du jardin. Je crois bien qu'il t'attend.

— OK, je cours de ce pas le rejoindre !

— Et moi, je vais à la maison rejoindre Shéya ! J'aimerais lui apporter mon aide pour déchiffrer les données de Makéna.

De ce fait, Aphte ramassa, à la volée, son par-dessus qu'il avait préalablement posé sur le rebord, en dagus, du pont. Ensuite, il se lança, enjoué et à toutes enjambées, vers Dashmad. Durant sa course folle, ses pas raisonnaient sur le tablier de la passerelle, tels des notes sur un xylophone. À mesure qu'il se rapprochait, il se rendit compte du cérémonieux excessif de son habillement.

En effet, pour l'occasion, son naali, le « passionné du style », avait préféré un accoutrement plus simple. Ses mèches – qui depuis s'étaient rallongées – avaient été taillées mi-longues, tant sur les côtés que le dessus. Brossé en arrière, l'air sérieux de l'aîné avait été réajusté, et ce, malgré les diverses teintes qu'exhibaient normalement ses cheveux – des reflets chauds, dorés et cuivrés qui se mêlaient à un bleu azurin. Quant au vestimentaire, il était évoqué par : une chemise blanche à longues manches, avec fourreaux d'épaules noirs officiels et des boutons sculptés en métal assortis. Le chic était renforcé avec la cravate parée de jais qui arborait l'emblème national et des chaussures appropriées. Concernant le reste de l'uniforme, bien qu'il ait opté pour les mêmes goûts que son mounia, un pantalon droit, Dédé s'était quand même épargné le protocole du long manteau.

Désormais à portée du grand-frère, qui au loin lui souriait, celui-ci le surprit par la fermeture brusque de son visage. L'Éolis (Génie en géologie) Ice fronçait ses sourcils, de façon à provoquer des rides verticales au-dessus du nez. Son regard se focalisait sur une potentielle cible. Quant à ses lèvres retroussées, elles découvraient les dents de sa mâchoire supérieure, comme un prédateur prêt à mordre.

Il n'en fallut pas plus au jeune Cowe pour deviner le danger. D'emblée, par instinct de survie, il fit une volte-face.

Trop tard, « l'animal enragé » avait déjà empoigné sa proie, par l'épaule. Ses doigts musclés exercèrent, immédiatement, une forte pression qui martyrisa la clavicule du mounia. Aphte fut stoppé, net, dans son échappatoire. Et sans tarder, l'aîné Dashmad lui infligea une taloche punitive.

Le coup fut si puissant, qu'à la nanoseconde où il l'encaissa, le garçon se replia automatiquement sur ses genoux, les mains sur la tête. Le réflexe voulut qu'il effectuât un massage soigneux de la zone bombardée. Assurément, Ayk tenait à répéter le geste, afin de soulager une douleur que même ses cheveux mi-courts n'avaient pu amoindrir. Effectivement, le bruit créé par l'impact fut si fort que les mifus et autres espèces alentours s'enfuir, instinctivement, surpris par l'origine de cette mystérieuse sonorité.

Pendant que l'Hano luttait encore pour étrangler sa souffrance avec quelques « aïe ! », l'ami le sermonna :

— Ne me refais plus jamais une surprise de ce genre, OK ?

— Je vais essayer, murmura Aphte, toujours accroupi.

Dash, se tenait debout, près de Cowe junior qui n'osait pas encore se relever. Depuis sa position de défense, l'Hano inspectait l'état d'énervement du naali. Dédé avait des mouvements raides et sa respiration, causée par la dilatation de ses narines, était encore bruyante. Exaspéré par, ce qu'il pensait être, une absence flagrante de communication franche, le grand-frère Ice voulut s'assurer de la bonne réception du message.

— Que tu dis ?

— Bien reçu ! s'écria Ayk.

— Tant mieux ! Et moi qui pensais avoir fini avec tes « sournoiseries », se plaignit Dashmad, dépité.

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