Chapitre 37 - Perspicacité et/ou lucidité

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L'an 7 007, quatrième journée à Naclov, logis du Cerveau de Tora, 13.10 Éo

— Ayk, comment un organisme biomécanique peut-il être contaminé par l'Isorok ? interrogea Dashmad, déconcerté. Jusqu'à maintenant, ce mal s'est toujours attaqué au sol et, par extension, aux nappes phréatiques. Qu'est-ce que cette nouvelle infection signifie ?

Dédé, égaré, regardait son ami et cadet. Son esprit tournait et retournait la question, sans résultat concluant. Et l'immersion du descendant Ice, dans les méandres de son intellect, ne produisit que des incertitudes supplémentaires. Il n'aurait jamais cru se fourvoyer, autant.

Aphte Cowe, sensible à l'embarras de son aîné, voulut mettre fin à cette scène désolante.

— Naali ?

Toutefois, l'Éolis (Génie en géologie) n'eut aucune réaction. Immobile, le géant, à la posture voûtée, s'était muré dans un silence pesant. Au fond de lui, une appréhension l'envahissait, tout doucement. En outre, son intuition lui dictait l'ignorance.

Après tout, « Dame curiosité » m'a déjà trop fait souffrir !

— Oui, Ayk ! répondit Dash, tardivement et avec mollesse.

Certes, le camarade Ice manquait d'enthousiasme et cela ne faciliterait pas le dialogue. Pourtant, l'Hano (Génie en mécanique) était soulagé. Par expérience, il savait combien il pouvait être ardu de soustraire son Chef d'équipe, à ses réflexions profondes. Le mécanicien qui pressait ses doigts, toujours dissimulés derrière son dos, se racla spontanément la gorge.

— Euh... t'expliquer comment l'androïde a pu être intoxiqué par l'Isorok, risque de prendre beaucoup de temps. Mais... je peux directement te dire, comment on peut la soigner ! conclut l'optimiste, avec un sourire crispé.

— De toute façon, tout ça ne m'intéresse pas ! J'ai eu assez de discours pour la journée !

— Ok ! approuva le mounia, légèrement surpris.

— Seulement, j'ai une dernière requête.

Désormais, l'Énia Ice avait les yeux, directement dirigés, vers ceux de son coéquipier. L'aventurier avait redressé son buste et paraissait plus imposant que d'habitude. Et malgré la douleur de son membre blessé, Dash avait autoritairement placé ses bras, dans le dos.

Pourquoi, tout d'un coup, il est aussi sérieux ?

— Oui, naali ? déclara le mounia, qui déglutit, instantanément.

— J'aimerais que tu me donnes les pétales !

— Hein ? Quels pétales ?

Le fils Cowe contracta automatiquement son front, stupéfait par la surprenante requête.

Subséquemment, Dédé précisa son exigence.

— Je veux les pétales de la rose lyne, immunisée contre l'Isorok, que le Botaniste t'a remis avant de quitter Ordest !

L'Énia Aphte était tétanisé. Cette idée débouchait de nulle part. Le visage de l'Hano restait figé et sa bouche entrouverte. L'émotion était si forte que les pupilles du Toraïte se dilatèrent. Les yeux écarquillés, l'étoile, au centre, brillait d'un noir le plus profond.

— Je ne suis pas dupe, Ayk ! annonça Dashmad, d'une mine sévère. C'est vrai, je ne suis pas Hano ! Mais, je sais, une chose. Pour sauver cette automate, il n'y a que deux options possibles.

Aussitôt, le sage de l'Instéo leva son index, afin d'indiquer l'ordre logique de son argumentaire.

— « Option 1, fabriquer un corps pour l'automate », vu que l'ancien est fichu. Mais, comme tu l'as si bien signalé, lors de ta plaidoirie au Conseil. Parfois, l'excellence technique ne suffit pas à réaliser un projet, quand on manque de temps. Et je crois que sur ce point, tu devais parler, par expérience. Puisque quatre générations de votre illustre famille n'ont pas suffi, pour modeler un nouveau corps, à ce robot humanoïde.

— Quoi ? réagit le fils Cowe, abasourdi.

— Oui, je sais !

Dédé devina le questionnement, sous-entendu, par l'expression interrogative de son ami. Il le rassura donc :

— Je sais que t'as eu l'info, en retard ! Mais, je suis sûr que tes prédécesseurs le savaient ! Peut-être pas ta mère. Quant aux autres, avant elle, ils avaient suffisamment de talent, pour ça !

Puis, l'Énia Éolis désira s'éclaircir les cordes vocales. En effet, sa voix commençait à s'enrouer, à cause de ces précédentes vociférations. Dans ce sens, il ingurgita promptement une boisson, qu'il dégrafa du côté droit, de son barda.

Suite à cela, le timbre un tantinet plus net, l'Expert Ice présenta à son mounia, deux doigts levés.

— « Option 2, concocter un remède contre l'Isorok ». Cette solution est plus plausible. D'ailleurs, je sais que, récemment, Kolh Mo et son équipe ont créé quelques pieds de lyne capables d'une telle merveille. Alors, je te le répète, Ayk, énonça Dashmad, d'un air menaçant, où sont ces pétales ?

— Désolé, naali ! Mais, ça ne servirait à rien ! admit-il, le regard douloureux.

— Si tu crois que je vais te laisser faire, ce que t'as dans la tête, tu te trompes ! Tu m'entends, tu te trompes !

En retour, Cowe junior courba son front. Les épaules tombantes et la vue accrochée à ses chaussures, le garçon s'efforçait de réprimer un sentiment qui lui brûlait la poitrine. Et pendant, quelques secondes, il se tut.

— Aujourd'hui, je comprends, encore mieux, pourquoi mère faisait des éloges sur toi. Même enfant, naali, t'avais déjà cette clairvoyance, confessa Aphte, le visage voilé par ses mèches pendantes.

— Ayyyyykkk ! Ces mots, je refuse de les entendre !

— On avait passé des années à chercher une solution moins douloureuse, continua l'adolescent, comme devenu sourd aux reproches de son aîné. Mais, comme t'as dit, on a dû se résigner à l'« option 2 ».

— Alors, laisse-moi le faire, à ta place ! Tu l'as vu, toi-même ! La douleur, ça me connaît ! assura Dédé, d'un rire jaune.

— Excuse-moi, naali ! Mais, je te le répète, ça ne servirait à rien que tu manges ces pétales !

— Parce que tu penses que je t'ai protégé, jusqu'ici, pour que tu fasses pareille bêtise !

Les yeux de Dashmad Ice étaient mouillés, par un légendaire liquide translucide. Elles témoignaient, silencieuses, au sujet d'une terrible émotion qui submergeait, lentement, le naali.

Les habitants de ToraWhere stories live. Discover now