11 février 1911

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Sur le palier, il n'y a plus personne qui fait chier Nao quand elle vient. Heureusement, parce que ce n'est déjà pas simple, nous deux, si en plus elle avait dû se battre au foyer pour qu'on puisse se voir, ça aurait rendu les choses impossibles. Bon, ça m'épargne pas les commentaires salaces des collègues, mais ils ont la délicatesse de se tenir lorsqu'elle est là. Louve, en particulier, fait vraiment des efforts. Et sous ses airs hargneux, je pense elle l'apprécie quand même un peu.

De base, Nao a un emploi du temps assez serré. Elle veut devenir sportive de haut niveau en hexoplan et elle étudie dans une école spéciale. Elle fait des courses d'obstacles et des matchs en équipe. Elle a beaucoup d'entraînements. Comme il y a d'autres personnes qui comptent sur elle, c'est chaud : elle ne peut pas les abandonner. Et puis elle a ses cours, aussi. Les élèves apprennent pas mal de trucs théoriques sur les stratégies à appliquer en vol et sur leurs machines (c'est pour ça qu'elle sait bricoler : un hexoplan, au final, c'est un peu comme un méca, sauf que c'est indépendant d'un corps humain et que ça vole). Elle dit que c'est plus simple de réparer un mécartifice qu'un hexoplan.

Quand tu y réfléchis un peu, ça en dit long sur la considération des sorciers vis-à-vis de nous. On parle quand même d'un engin qui ne sert qu'à voler : ils le perfectionnent au point qu'elle coûte des centaines de dens, au point de faire de sa pratique un sport applaudi par toute la Fédération, et même au-delà. Tout ça brasse un fric de malade et à côté de ça, les mécartifices qu'ils nous greffent sont de vulgaires prothèses à la mécanique grossière.

En fait, nos mécas sont tellement sans importance que les sorciers qui les conçoivent ne se soucient pas de grand-chose. Il y a un gars, au foyer, qui douille dès qu'il utilise son méca : la réserve de magie est trop proche de ses nerfs et, un corps d'humain, ça supporte mal la magie.

Bref. Avec mon bras, j'ai de la chance, et j'ai de la chance que Nao sache s'en occuper aussi bien que de son hexoplan.

En plus de son école, Naola est serveuse au Mordret's Pub. C'est surtout les soirs de pleine lune, parce que les vampires aiment profiter de sa lumière. Ça dure super tard dans la nuit, qu'elle ait cours ou pas le lendemain. Elle en fait trop. En plus, Mordret lui impose des entraînements, d'après lui pour la protéger de ses semblables.

Il est toujours dans son dos, à surveiller ce qu'elle fait, à commenter sa vie. Il n'est pas net. Je ne comprends pas pourquoi un vampire qui fait dans le commerce d'informations et dans le trafic de luxe (vu les quantités de café qu'il achetait à Igniire) s'intéresse à elle. Elle a seize ans, et lui est âgé de plusieurs centaines d'années, au moins. C'est glauque et pas normal, mais Naola refuse de l'entendre. M'enfin, c'est son problème, je n'ai pas à y mettre mon nez.

Ajoute à tout ça que, franchement, avec l'activité de l'Ordre dans nos quartiers, il vaut mieux pas qu'on soit vus ensemble... Pas que Leuthar se sente particulièrement concerné par Nao, hein, mais s'il sait que, dans sa ville, une sorcière sort avec un mécartificé, ça risque d'être explosif. Je crois qu'il ferait bien cramer tout l'immeuble.

Naola a croisé Leuthar, l'été dernier au Mordret's Pub, et ils ont parlé des mécas. C'était juste après sa rentrée scolaire : elle avait mis en pause son atelier de réparation au Boulon Plein et comptait le rouvrir. Il lui a déconseillé de le faire. Alors elle a obéi... jusqu'à ce qu'elle me retape, puis qu'on sorte ensemble.

À cause de ça, Naola a mis au point une couverture, histoire qu'on ne cherche pas trop à en savoir sur sa vie privée : elle a un copain officiel, Lawrence. Un petit sorcier un peu friqué qui aime bien se sentir vivre en flirtant avec la serveuse d'un bar à vampire

Je ne peux même pas dire que ça me frustre, qu'elle soit avec un autre gars. Quelque part, je suis désolé pour lui. Et désolé qu'elle ait à lui mentir comme ça, aussi.

Donc, on ne se voit pas souvent, mais on savoure chaque minute passée ensemble. Quand elle dort avec moi, je garde mes draps jusqu'à la fois suivante. Évidemment qu'il y a plus son odeur sous celle de ma sueur... C'est pas grave. Si Louve savait ça, elle se foutrait de ma tronche.

Le carnet de MadenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant