PAPER PLANES - Quand tu plies tes avions en papier

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Jeudi 1er juillet

Tu peux le faire... Si tu le veux vraiment, tu peux y arriver.

Jimmy est figé dans le studio de danse qu'il fréquente à la MJC où travaille Youssef comme prof de batterie. Son colocataire lui réserve toujours la salle et il essaie d'y aller chaque semaine, même si ça devient de plus en plus difficile pour lui. Youssef fait grincer les cordes d'une guitare sèche pour les changer et fiche la paix à Jimmy. Il le laisse faire son truc. Il n'est là que pour s'assurer de sa sécurité. Jimmy ignore comment Youssef peut accepter de faire ça, mais son ami ne pose aucune question, ne tente jamais de s'éviter de la corvée.

Jimmy a les pieds cloués au sol, sent le bois du parquet quand il écarte les orteils. Sa jambe est très douloureuse aujourd'hui, et même si Youssef n'a pas réinsisté concernant le concours, Jimmy sait très bien que c'est parce qu'il est bien conscient que c'est compliqué pour son meilleur-ami de danser. Youssef sait ce que représente la danse pour Jimmy et à quel point il est ardu de prendre une décision quant à une possible participation. Et Jimmy, lui, ne pense qu'à ça. Cette satanée compétition et la dernière chance qui se présente à lui avant d'accepter qu'il ne dansera plus jamais. Il ignore quoi faire. Il est perdu.

Ça suffit.

Il a mal aux jambes, mais s'il ne danse plus, il n'est plus rien.

—  Alexa ! Lance « Feels » de Kiara.

Jimmy ferme les yeux. Il commence à faire rouler sa nuque, puis à mouvoir ses bras. Lentement, il laisse la mélodie l'investir. Avec justesse, il pose la pointe de son pied droit sur le sol et prépare son bras gauche devant lui. Il effectue un pivot, inspire une grande bouffée d'air puis à l'issue du double tour, s'élance. Il garde le dos droit pour le maintien et prend soin de terminer chaque geste. Chaque mouvement est une multitude de poignards dans ses membres et ses muscles, mais il est lancé. Malgré la douleur, quand il danse, il ignore sa condition misérable. Chaque roulement de hanche, chaque pas et saut est réalisé avec passion, ressenti jusqu'au bout de ses doigts.

Lorsque Jimmy danse, il n'est plus le même. Il garde les paupières closent. Constamment. Même lorsqu'il y voyait, même lorsqu'il savait que ses parents le fixaient d'un regard mauvais plus jeune. Ils ont toujours considéré qu'un garçon ne devait pas faire de la danse, mais ils étaient bien obligés de comprendre, au fond, que Jimmy a quelque chose en lui qui fait parler la musique. Ils n'ont jamais osé lui faire arrêter, ont continué de payer pour ça, même s'ils n'ont jamais accepté leur fils comme il était. Jimmy n'a pas besoin de lumière pour son art. Il ressent celle-ci en lui, la sent vibrer avec la musique quand il laisse son corps s'exprimer.

Il a une soudaine envie de pleurer, mais se retient. Il n'est pas encore aux trois quarts de la chanson qu'il se sent faiblir. Son corps le punit. Sans cesse. Il l'ignore comme il ravale ses larmes. Seulement, quand son genoux lâche et qu'il s'effondre, son menton heurte le sol et il entend Youssef tout envoyer valdinguer pour le rejoindre.

—  Jimmy !

En quelques instants, il est près de lui. Jimmy pose le front au sol. Il a peur d'en être à ce niveau de perte de mobilité. Ce niveau de perte d'indépendance. Son corps se secoue de larmes et il devine qu'il inquiète Youssef. Jimmy se renferme en ce moment. Il se cloître dans sa terreur et sa douleur. Le danseur frappe durement du poing au sol, laisse tout sortir. Il ne sait plus ce qu'il est supposé faire. Au quotidien, il reste fort. Fait en sorte de se battre pour ce qu'il veut, de ne jamais faillir face à l'angoisse ou aux défis que lui lance la vie, mais aujourd'hui, il pose un genou à terre. Les deux mêmes.

Aidez-moi. Je vous en supplie.

Il implore le ciel, le destin sans savoir à qui il parle tout en sachant très bien la fatalité de sa situation. Youssef le soulève, entoure son torse de ses bras et l'installe sur son épaule. Jimmy pleure très fort. Il ne craque que rarement par fierté, mais quand ça arrive, il faut que ça sorte.