Le masque

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Anne-Sophie était toujours assise sur le lit refait, le regard perdu dans le vide, ses mains triturant agressivement les plis de sa robe. Fil s'était levé et avait recommencé sa fouille dans l'armoire sans rien rajouter. Peut-être voulait-il prouver ce que la jeune femme avançait ? Toujours était-il que le Prince, devenu blanc comme un linge passa au rouge signe de son malaise grandissant.

— Il ne faut rien divulguer, répétait-il pour la cinquième fois.

— Serait-ce donc pour cela que le tueur s'est acharné sur lui ? Questionna Anne-Sophie, certes il s'agit-là d'un affreux péché mais comment pouvait-il le savoir ? Quel est le lien entre les victimes ?

Fil se retourna brusquement vers eux, et dévisagea le Prince qui avait l'air beaucoup plus troublé qu'il ne l'aurait pensé. L'Italien lui demanda s'il ne voulait pas s'aérer l'esprit à l'extérieur et Laurent déguerpit rapidement. Anne-Sophie leva ses yeux vers l'Italien qui soupirait et roulait les yeux au ciel.

— Quand vous êtes-vous rencontrés ? Demanda curieusement la jeune fille.

Fil soupira et s'assit à côté de la jeune fille, le regard songeur et dirigé vers le ciel. Mais alors qu'Anne-Sophie s'attendait à ce qu'il la remballe, il la surprit en lui répondant d'un air franc :

— Nous nous sommes rencontrés à l'hiver de l'an 1677, à Paris si je me souviens bien.

— Mais il était jeune ! S'exclama-t-elle, il devait avoir tout juste seize années !

— Croyez-moi, lança-t-il sur un ton rieur, il ressemblait davantage à un jeune homme qu'à un garçon !

Anne-Sophie fut étonnée de voir un air aussi amical se dessiner sur le visage de l'Italien. Lui qui faisait toujours preuve de railleries et de sarcasme semblait nouer une réelle et importante amitié avec le Prince. La jeune fille voulu en savoir plus sur le contexte de leur rencontre, mais elle se ravisa, de peur que l'Italien ne se renferme sur lui-même alors qu'il avait l'air d'être plus à l'aise avec elle.

— Et quel âge avez-vous ? Demanda-t-elle désireuse d'en savoir plus.

L'Italien laissa un léger rire d'échapper de sa bouche tordue en un rictus amusé et se releva, se dirigeant vers l'armoire. Anne-Sophie affichait un sourire contrit, ne comprenant pas pourquoi il riait.

— Je croyais que cela ne se faisait point de demander l'âge de quelqu'un ? Répliqua l'Italien sur un ton léger qui trahissait la présence d'un sourire sur son visage.

— Seulement à une femme ! S'offusqua Anne-Sophie en croisant les bras sur sa poitrine.

Fil se retourna, une chemise de soie dans la main et un fabuleux regard joueur.

— Cela n'est guère juste ma chère, fit-il, je trouve que vous manipulez les règles à votre avantage.

— C'est ainsi que nous vivons à Versailles, Messire, répliqua-t-elle en souriant.

L'Italien retourna à ses fouilles en riant. Anne-Sophie fut quelque peu déçue de ne pas avoir de réponse de sa part. Surtout qu'elle venait de gagner leur petit jeu de réplique. Elle trouva cela injuste et ronchonna dans son coin, le regard baissé vers ses souliers.

— Regardez plutôt ce que j'ai trouvé, lâcha Fil en tendant à la jeune femme une pile de papier.

En soufflant, elle lui prit le paquet des mains et défit le nœud. Il s'agissait d'une dizaine de lettres, aux sceaux écarlates sans armoiries. Mais au milieu de l'une d'elles, elle remarqua une tâche noire. Une épaisse enveloppe scellée par de la cire noire, frappée par la représentation de deux masques de théâtre dramatique. La jeune femme la sortie délicatement du paquet non sans sentir son angoisse monter en flèche. Fil la regardait faire, le visage fermé et sérieux. Il n'avait pas remarqué la mystérieuse enveloppe du Masqué. La jeune fille défit le seau et ôta son contenu qui la fit pâlir. La moitié d'un masque blanc de porcelaine était caché dans l'enveloppe. Anne-Sophie vérifia à l'intérieur de l'enveloppe s'il n'y avait pas autre chose, tandis que l'Italien lui prit l'objet des mains et le contempla. A l'intérieur était écrit à l'encre noire : « parce qu'il ne le méritait point entier ». Anne-Sophie eut un hoquet de surprise, et Fil se tourna vers elle. La jeune fille lui tendit l'enveloppe. A l'intérieur était inscrit sur les parois toujours de cette même encre noire : « Le temps s'écoule et le sang coule »

— Dramatique, en conclu Fil.

— Nous sommes ses personnages et lui le metteur en scène, enchaîna lugubrement Anne-Sophie, comment parvenir à le démasquer si nous n'avons aucun indice ?

— Au contraire Signorina, contredit l'Italien, nous savons qu'il est jeune, certainement un homme de science donc riche, un noble ? Mais surtout, et je viens de m'en apercevoir, nous avons le lien entre les victimes. (La jeune femme écarquilla des yeux et dévisagea Fil) Réfléchissez, qu'ont les victimes en commun ?

— La plaie abdominale ? Hasarda-t-elle (Fil hocha la tête mais l'intima de développer, et soudainement, la jeune fille écarquilla les yeux) les deux étaient un amant d'un autre, et cet autre trompait sa conjointe !

— Ce qui peut signifier que le Masqué ait déjà vécu une relation avec une personne qui l'a une fois trahi et s'en venge sur les autres.

Anne-Sophie prit une lettre au sceau écarlate et la lut. Elle remarqua très vite qu'il s'agissait de lettres passionnées entre la victime et un certain Charbonneau.

— Il entretenait une liaison avec son maître, Antoine de Charbonneau ! S'exclama-t-elle.

Elle replia les lettres, les joues rouges de honte, ayant l'impression d'avoir violé l'intimité de Martin. Les lettres étaient vraiment passionnées, témoignant d'un amour incommensurable entre les deux hommes. Se connaissaient-ils déjà d'avant ? Ce serait donc pour cela que le dit Antoine de Charbonneau serait venu à Versailles pour l'affaire de quelques jours. Seulement, l'assassin était au courant et avait éliminé le domestique. Qui pouvait être au courant de telles choses ? Le Roi ? Non. Un proche ? Peut-être que le Masqué choisissait ses victimes en les approchant et en les fréquentant ? Peut-être alors qu'Anne-Sophie le connaissait ainsi que Fil ? Toutes ces questions se mélangeaient dans l'esprit d'Anne-Sophie et elle se releva, rangea les lettres dans l'armoire, sans oublier de cacher celle du Masqué sous un de ses nombreux jupons. Fil ne fit rien et se contentait de la laisser remettre tout en ordre. Après quoi, ils sortirent de la pièce à la senteur nauséabonde d'un corps en décomposition, pour retrouver le Prince et lui faire part de leurs pistes. Fil demanda en passant, à un domestique de sortir le corps et de le jeter dans une fosse commune, ordre contesté par le domestique.

— Ecoutez, répliqua durement Anne-Sophie, ce qui surprit l'Italien, nous enquêtons sur les meurtres sur ordre du Prince, si vous ne jetez pas ce corps, ce sera le Lieutenant La Reynie qui le trouvera et je suis sûre qu'il ne sera pas aussi indulgent que nous et préféra boucler l'affaire en condamnant l'un de vous au bûcher. Faites comme bon vous semble.

Puis elle tourna les talons, laissant sur place un domestique au visage pâle et au regard effrayé dans son dos qui se précipita vers la chambre du défunt. Fil fut surprit par la dureté des paroles de la jeune femme. « Quelle étrange brin de femme ! » songea-t-il en la détaillant marcher d'un air supérieur faisant claquer ses talons contre le vieux plancher.

Le tueur au masque de porcelaineWhere stories live. Discover now