3. Hot Blood (1/2)

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Chayan soupira de lassitude, les yeux fixés sur le vieux téléviseur du Hot Blood. Tous les vampires, ou presque, avaient cessé leurs activités pour écouter religieusement les informations du soir. Seul le groupe de musique punk, sur la petite scène du fond, continuait à faire rugir ses instruments.

Une énième attaque barbare venait d'être commise par un gang de vampires avides de vengeance. Plusieurs humains avaient péri dans l'assaut, avant que des militaires lourdement armés ne parviennent à reprendre le contrôle de la situation.

Le conflit séculaire opposant humains et vampires était loin de s'apaiser : Chalong Kaew, le Premier ministre de la Thaïlande, mettait en effet beaucoup d'énergie à attiser la colère du peuple. Il était de notoriété publique qu'il nourrissait une profonde hostilité à l'égard des « suceurs de sang ». Dès son élection, il s'était empressé de supprimer les quelques lois progressistes instaurées par le gouvernement antérieur.

Le sentiment d'aversion imprégnant l'opinion publique était tel que des milices indépendantes – et armées jusqu'aux dents – s'étaient formées clandestinement pour chasser ces créatures de la nuit. Les vampires ripostaient avec tout autant de violence. Ces affrontements réguliers, défrayant chaque fois la chronique, s'achevaient bien souvent en bain de sang. Une situation idéale pour le Premier ministre, qui pouvait exploiter ces tensions à son avantage en usant de pure démagogie. La haine avait toujours été l'opium du peuple, n'est-ce pas ?

Tout cela laissait Chayan indifférent.

— Ils ont bien raison, siffla le barman du Hot Blood en passant un nerveux coup de chiffon sur le comptoir où Chayan était installé, maussade.

— Tu penses qu'ils ont raison de s'entre-tuer ? interrogea celui-ci, agacé d'avance par ce sujet de conversation récurrent.

— Nos frères ont raison de se défendre contre cette vermine d'humains. On devrait rester là sans rien faire quand ils nous traquent jusque dans nos quartiers ? Pour eux, un bon vampire est un vampire mort.

Le barman fit claquer sa langue contre son palais. Son expression affichait un air mauvais.

— Et pour toi un bon humain est un humain docile, je présume ? poursuivit Chayan.

— Les humains ne sont bons qu'à se faire bouffer la gorge. À quoi d'autre ? Tu m'expliques pourquoi on courbe l'échine devant eux, alors qu'on pourrait les dominer sans aucun mal ? feula son interlocuteur avec une rage à peine contenue.

À leurs côtés, chacun y allait de son commentaire dans une sourde cacophonie proche du chaos. Une rancœur poisseuse écumait sur leurs lèvres perfides, dirigée contre un ennemi commun : les mortels.

— Tu crois vraiment que les vampires pourraient dominer ? Ils veulent juste foutre le bordel et s'amuser. Regarde ceux qui commettent ces attaques, c'est totalement désorganisé. Inutile, provoqua Chayan une nouvelle fois, habitué à braver les dogmes édifiés par ses pairs.

— Et toi tu fais quoi, hein ? À part la morale ?

— Moi ? Je m'en fous. Je déteste autant mes congénères que les humains, si tu veux tout savoir, se déroba-il en haussant les épaules.

— Comment tu peux dire ça ? Nous leur sommes supérieurs en tous points. On devrait rallier la lutte au lieu de rester inactifs. Cette guerre est aussi la nôtre ! Tu devrais avoir honte d'être si peu solidaire de tes frères, voilà mon avis, cracha le barman avec mépris.

— Ton avis me passe au-dessus. Tu m'emmerdes. Tout le monde m'emmerde, t'as toujours pas compris ? Je ne sais même pas ce que je fais encore ici. Allez, j'me tire, lança le perturbateur en quittant sa chaise haute, son long manteau noir voletant dans un mouvement aérien aussi désinvolte qu'élégant.

Old SoulsWhere stories live. Discover now