13. Déviation (1/3)

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L'esprit embrumé, Giles se remettait à peine de ses émotions quand il posa le pied sur l'asphalte pollué de Bangkok. La mégalopole l'emporta dans sa houle urbaine et agressa ses sens, l'arrachant au cocon hallucinatoire de son périple. Sac à dos sur l'épaule et le visage encrassé de poussière, il retrouva le chemin de son quotidien après cette déroutante échappée sur les cimes du monde. Sa jolie maison proprette lui parut presque incongrue au regard de ce qu'il venait de vivre.

À l'aube des temps... l'eau, le sable et le vent...

Il secoua la tête, en proie à ses souvenirs ; des images qui rappelaient davantage un songe étrange qu'une réalité tangible. Le visage de Dawa embuait son esprit, parmi des paroles proférées d'un ton pénétrant.

— Hannah ? appela-t-il.

Le silence lui répondit. Un silence qui se chargea alors d'horreur, lui glaçant les veines. À l'idée qu'il ait pu advenir quelque chose, il se réveilla pleinement de sa transe.

Il courut jusqu'au sous-sol, le corps tendu comme un arc. La pièce était plongée dans la pénombre. Une crainte poisseuse infiltra ses os. Il imaginait déjà l'amour de sa vie étendue dans une mare de sang, la peau exsangue.

— Hannah ? ne put-il que croasser, comme si on lui avait scié les cordes vocales.

— Rupert ?

Dans le lit, Hannah paressait sur le côté, les mains sur son ventre arrondi. Giles se précipita à son chevet.

— Oh, mon amour, tu vas bien ?

Il palpa ses joues, son corps, à la recherche d'une blessure, hagard.

— Rupert, mon chéri, tu es glacé. Tout va bien ?

— Oh, Hannah, pardonne-moi de t'avoir laissée. Je suis immonde. Je t'ai fait courir un risque extrême en t'abandonnant ainsi.

— Chh, tout va bien. Regarde, tout va bien. Rien ne s'est passé. Tu n'es parti que trois jours.

— J'ai l'impression que ça a duré une éternité...

Dans le calme de ce début de soirée, Giles et Hannah s'enlacèrent étroitement.

Les premiers hommes violèrent la pureté...

— Surtout, vous gênez pas pour moi.

Giles sursauta. Lamaï se tenait en tailleur sur la chaise de bureau, devant l'ordinateur – l'écran était parcouru de codes html – grignotant des cacahuètes ou semblable cochonnerie salée. Dans son émotion de retrouver sa femme, l'historien avait failli oublier ses deux amies.

— Lamaï, excuse-moi. Je suis complètement déboussolé.

— T'as une sale gueule.

— Ouai, merci... marmonna-t-il en passant une main tremblante dans sa tignasse poisseuse. Où est Amnuay ?

— Alors, à ce sujet...

Giles se tendit instantanément.

— Tu sais comment elle est. Têtue et indomptable. On l'aime comme elle est, mais parfois, c'est pas facile à supporter et...

— Lamaï ! gronda Giles. Où est-elle ?

— Elle a voulu rentrer. Odette, les perruches, son porche et ses satanées poteries. On n'a pas réussi à la retenir.

— Misère ! Lamaï...

— Quoi ? Tu ne vas pas me jeter la pierre ! C'est toi qui es parti à l'autre bout du monde en abandonnant ta moitié enceinte jusqu'aux yeux, une vieille femme boiteuse et une geek insouciante incapable de se défendre ! dramatisa-t-elle.

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