4. Attraction (2/2)

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Ce vampire beau comme l'enfer l'irritait avec ses leçons de morale et cette propension ridiculement chevaleresque à toujours lui sauver la mise, même s'il était obligé de reconnaître qu'il lui devait plus d'une vie.

La créature lui inspirait une forme de méfiance teintée de fascination... Ces rêves dans lesquels il tombait chaque nuit laissaient peu de place au doute. Chayan était dans chacun d'entre eux. Son enfer n'était plus hanté par les flammes, mais par les yeux sombres du vampire, à la fois dangereux et caressants. Au fond de ses orbes régnait un ciel aussi attirant que menaçant, une galaxie qu'il n'aurait pas dû vouloir connaître.

Alors pourquoi cette attraction viscérale, le poussant à vouloir en savoir plus, toujours plus ?

Ses livres ne suffirent bientôt plus à dompter son obsessionnelle curiosité, une bête sauvage qui rongeait sa raison.

Un matin, alors qu'il rangeait la librairie en compagnie de Giles, il se risqua à questionner l'expert en sciences occultes et autres légendes.

— Giles, que sais-tu... des vampires ?

Le libraire s'arrêta tout net, comme s'il avait vu un fantôme.

— Pourquoi tu me demandes ça, tout à coup ? interrogea-t-il en rangeant machinalement des ouvrages, dos à lui.

Appuyé sur le comptoir, Suni observait les réactions de Giles : il ne pouvait pas voir son visage mais sa main, elle, tremblait légèrement. La fatigue affectait ses nerfs, ces derniers temps. Attendre un enfant n'était pas de tout repos pour un homme de son âge.

— Je ne sais pas... Je suis curieux. La situation me préoccupe.

— Tu parles des affrontements de plus en plus fréquents, n'est-ce pas ?

— Oui. Les vampires sont-ils tous mauvais, comme le pense le Premier ministre. Comme le pense Khun Yâa, et littéralement tout le pays... ?

Il ne manquait pas d'indices pour répondre à cette question, après ce qu'il avait traversé. Mais il y avait forcément d'autres secrets à percer, d'autres vérités à comprendre.

Giles replaça un dernier livre sur l'étagère avant de rejoindre le jeune homme. Ses tremblements avaient cessé. Il s'assit près de lui et remonta ses petites lunettes rondes sur son nez.

Le quinquagénaire avait tout du bibliothécaire anglais bien sous tous rapports, ennuyeux comme la pluie. Qui pouvait se douter de son inclination pour la magie et autres curiosités ? Il paraissait plus proche d'un bureaucrate pétri de préjugés que d'Indiana Jones. Et pourtant, c'était un baroudeur chevronné, un puits infini de savoir ; fasciné par l'immensité du monde, ses peuples et ses mystères. Il pouvait parler des heures de ses voyages, de ses rencontres, de ses croyances. Mais Amnuay ne voyait pas d'un bon œil son appétence pour ces fantaisies. Elle y mettait fin chaque fois en recentrant la conversation sur des considérations plus prosaïques.

— Mon garçon... Les vampires ne sont rien d'autres que des humains qui ont vécu trop longtemps, déclara Giles, solennel.

— Alors, tu ne les crains pas ? s'étonna Suni.

Il connaissait l'empathie et la philosophie de l'historien, toutes deux aussi grandes qu'un continent, mais ce discours était rare et controversé.

— Pour tout dire... Je les ai craints. Je les haïssais, même.

Giles semblait évoquer un temps très lointain, révolu. Un autre monde vivait dans ses pupilles, assombries par les souvenirs du passé.

— Et aujourd'hui ?

— Je m'en méfie. Mais tout autant que n'importe qui. J'aime toutes les créatures sur cette Terre, tu sais. Les serpents venimeux, les plantes carnivores, les humains, parfois trop en colère ou blessés pour juger impartialement une situation, les vampires, premières victimes de leur condition... et même les loups-garous. Il ne tient qu'à nous de les comprendre. Le bien et le mal ne sont pas des notions figées, inhérentes à la nature des êtres vivants.

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