Patinoire

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Les marchés de Noël sont un véritable traumatisme pour notre couple. À chaque fois que nous voyons des panneaux publicitaires dans les rues parisiennes, nous nous raidissons comme des bâtons de bois et nous fixons le sol. La cicatrice sur l'épaule de Valentin est toujours présente, et m'arrache un coup au cœur dès que je l'aperçois. Il me certifie qu'il ne sent plus rien, mais je ne le crois pas. C'est donc un sujet que nous évitons bien consciencieusement.

C'est pour cela que je suis le plus surpris des hommes lorsque Valentin me presse, en ce matin de décembre, alors que nous sommes en vacances en Irlande, d'aller au marché de Noël de la ville de Belfast. Il ressemble à un enfant, ses grands yeux bleus brillants de joie.

— Tu dois t'habiller chaudement par contre !

— Comment as-tu changé d'avis ? Je ne souhaite en aucun cas te rappeler de mauvais souvenirs ou déclencher des traumatismes.

— Nous ne sommes pas à Paris, Eliot. Et je ne peux pas t'en révéler plus. Ça gâcherait la surprise !

Il m'embrasse la joue pour toute réponse, avant de me supplier de me lever. Il m'indique également que nous prendrons notre petit déjeuner sur place, afin de gagner du temps. J'accepte derechef et moins d'un quart d'heure plus tard, nous sommes dans le bus, direction le centre-ville.

Valentin trépigne, en se tenant à la barre et en souriant à toutes les personnes qui croisent son chemin. Le voir ainsi me réchauffe, bien entendu, mais une certaine appréhension persiste. J'ai toujours peur qu'il effondre à cause de la force de ses souvenirs.

Nous sortons du bus non loin de l'une des places où se déroule le marché de Noël et Valentin me prend la main. Je la lui serre pour lui signifier que je suis là et qu'au moindre problème, nous pourrons faire demi-tour. Son sourire ne quitte pas ses lèvres.

Nous nous achetons une crêpe et un café pour petit déjeuner, et nous avalons le tout au plus vite, non seulement pour nous réchauffer, mais également parce que Valentin est excité comme une puce. Une fois nos déchets jetés, il me reprend la main et me guide dans les allées du marché. La musique de Noël est de plus en plus forte et je ne peux pas m'empêcher de penser à Callahan. Michael Bublé est en effet parfait pour cette période de l'année.

— Mon Eliot ?

Je sors légèrement de mes pensées lorsque je me fais appeler aussi affectueusement. Encore une fois, j'ai peur qu'il m'annonce qu'il préfère rentrer parce que les souvenirs se réveillent. Mais le visage souriant que je découvre chasse ces idées.

— Oui ?

— Est-ce que tu sais patiner ?

— Pas le moins du monde.

— Parfait. Alors je vais t'apprendre.

Nous sommes devant une patinoire montée de toute pièce où quelques personnes s'entraînent déjà. Le volume élevé de la musique provient de là, afin de donner de l'entrain aux amateurs de glisse.

Je suis Valentin qui semble comme un poisson dans l'eau. Je fouille dans mes souvenirs pour me rappeler une discussion où il m'avouerait apprécier ce sport. Mais rien ne me revient.

— Ça te surprend, n'est-ce pas ?

— Oui, légèrement. Je pensais que ta préférence allait à la course à pied.

Son sourire se fait plus lumineux encore. Il me rappelle pourquoi je suis tombé amoureux de lui et mon cœur s'emballe, même après toutes ces années.

— Eh bien, c'est de la course à pied...mais sur la glace. J'en faisais avec mon papa, tous les ans à ce marché de Noël. On allait super vite et ma mère stressait pour nous, parce qu'elle avait peur qu'on se blesse.

— Je ne suis jamais monté sur des patins. Je te certifie que je ne pourrais pas faire comme ton père et toi.

Il attrape les deux paires tendues par le gérant, et me rejoint sur un banc pour enfiler nos nouvelles chaussures. Ses lèvres se collent doucement sur ma joue.

— Ce n'est pas ce que je te demande. Simplement...d'apprécier ? De profiter de ce moment à deux. Et d'être aussi un petit couple cliché, parce qu'à mon humble avis, on n'a pas assez été un petit couple cliché dans notre vie.

Il noue les patins à une vitesse affriolante, et se penche vers les miens qui me donnent du fil à retordre. Il me fixe, un genou à terre, faisant habillement les nœuds qui me maintiennent les chevilles.

Il m'aide à me lever et à marcher avec les lames, la main dans la mienne. Nous atteignons la glace et encore une fois, ses doigts serrent les miens lorsque mes pieds touchent la surface glissante.

Je n'ai jamais été quelqu'un possédant un bon équilibre. Il s'agit là d'un de mes principaux défauts dans ma vie sportive. Je me suis bien gardé de le raconter à Valentin, mais lorsque j'étais en couple avec Lola, elle a tenté de me faire monter sur une planche de skateboard. J'ai été plus que lamentable.

Je suis donc accroché au bord ainsi qu'à la main de Valentin pour éviter de tomber. J'essaie de suivre ses mouvements, comme il ne cesse de me le dire, mais j'ai peur de chuter.

— T'inquiète pas, je suis là. Il est hors de question que je te laisse te ridiculiser. Un pied après l'autre. Gauche droite, gauche droite.

Je fixe mes patins en me répétant cette phrase. Gauche droite. Mes mouvements sont de plus en plus réussis et je relève la tête. Valentin me sourit comme si j'avais accompli l'exploit du siècle.

— Super ! Continue comme ça, afin que ça devienne automatique. Tu verras, tu vas lâcher le bord tout seul.

Et comme toujours lorsque nous évoquons le monde sportif, Valentin a raison. Dix minutes après qu'il m'ait dit cela, j'abandonne la bordure, étant désormais uniquement retenu par sa paume contre la mienne.

Je n'ose pas la lâcher, car je ne suis pas très rassuré, mais aussi parce que je suis heureux que nous soyons reliés de cette manière. Il a indiqué vouloir jouer au petit couple cliché, je prends ce rôle très à cœur.

Étant bien plus doué que moi, il commence à patiner à l'envers afin d'être en face de moi et de me tenir les mains. Je nous dirige afin que nous n'entrions pas en collision avec d'autres sportifs. Certains ont l'air d'admirer Valentin et un groupe de filles collées au bord nous observent avec des étoiles dans les yeux.

— Alors ? Comment tu trouves ça ?

— Plutôt plaisant. Mais je n'ai aucune envie de me séparer de toi.

— Je ne comptais pas le faire non plus, donc c'est parfait.

Il revient à mes côtés et nous effectuons plusieurs sortes de figures — je ne suis pas sûr que ce que nous faisons peut être qualifié ainsi. Il s'éloigne de moi, nos bras étendus, avant de réapparaître tout proche de moi, comme si nous nous promenions. Je manque de tomber de trop nombreuses fois, mais il me retient contre lui. La position étant trop tentante, je lui offre un baiser comme remerciement.

— On pourrait être les héros d'un film de Noël, glisse-t-il alors que nous terminons notre séance de patinage.

— J'en serais très heureux.

Il hoche la tête et je pense que n'importe quel acteur, aussi doué soit-il, ne parviendra jamais à reproduire le sourire de Valentin lorsqu'il s'adresse à moi. Et c'est ce qui est le plus beau. 

Ciel de NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant