Effet

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La chaleur de la douche et de la salle de bain me quitte dès que j'entre dans notre chambre. Je suis torse nu, et uniquement en sous-vêtements lorsque je me dirige vers la commode renfermant mon costume.

— Essaies-tu de m'envoyer un message ?

Eliot est également assis sur le lit, en train de nouer sa cravate. Il n'est jamais parvenu à le faire, durant toute sa vie. C'est une source de moquerie sans fin pour moi, et de honte pour lui. Même pour notre mariage, il a dû demander de l'aide à sa mère. Par contre, je ne critiquerais jamais son habilité à dénouer ces mêmes nœuds. Il est particulièrement doué à cet exercice.

— Non, pas vraiment. Je vais simplement m'habiller et notre salle de bain est trop petite pour contenir mes habits. En plus, je n'ai aucune envie de me baisser. Mon dos va assez souffrir ce soir.

Il me sourit chaleureusement et je suis presque certain que les mêmes images que moi arrivent devant ses yeux. Nos petits enfants, que nous ne voyons pas souvent, vont nous sauter dans les bras en hurlant Papi. Et bien entendu, nous allons devoir les porter. Je sens déjà mes muscles hurler et ma jeunesse se moquer de moi. Elle est loin l'époque où je pouvais endosser mon paquetage de l'armée sans me plaindre.

— En effet. Mais une idée m'a traversé l'esprit lorsque tu es apparu ainsi devant moi.

Ses lèvres ne sont plus étirées que d'un seul côté, ce qui m'intrigue au plus haut point. Cela fait des années qu'il n'a pas été aussi mystérieux.

— Je suis tout ouïe.

Il ramène ses pieds sur notre lit — il n'est pas encore chaussé — et se dirige vers moi en glissant. Il ressemble à un chat venant cajoler sa proie, et je tombe dans le panneau comme un adolescent.

— Il y a cinquante ans de cela, alors que nous nous préparions pour assister à un mariage, mes yeux se sont égarés sur ton torse dénudé.

Sa main tachée de vieillesse se glisse sur mon ventre. Il n'est plus galbé comme auparavant, et je grimace souvent en le regardant dans un miroir. Tout chez moi a perdu de son éclat ; mes yeux ne sont plus aussi bleus qu'avant, mes cheveux parsemés sont blancs, et je me trouve généralement flasque.

— Je m'en souviens, dis-je, en tentant de ramener les sensations qu'il me provoquait à cette époque là.

Je ne mens pas. Si je m'étais écouté et si nous avions été tous les deux dans notre chambre, je l'aurais embrassé à ne plus finir, avant de le conduire au lit pour le faire mien. Nous aurions été en retard au mariage, mais je n'en avais que faire.

— Te souviens-tu de ce que tu m'as dit ?

J'ai beau fouiller, seuls les frissons remontent — et je suis certain qu'ils sont déclenchés par la main qui se promène sur mon corps, feignant l'innocence.

— Non, je suis désolé.

Le sourire de mon mari ne faiblit pas. Je suis même sûr qu'il augmente.

— Tu m'as dit que tu étais ravi que tu me fasses toujours de l'effet.

Son corps est collé au mien. Sa chemise n'est pas fermée, si bien que je sens son torse contre mon dos. Le tissu de sa cravate navigue lentement sur ma peau nue. Son souffle, lui, va s'échouer sur ma nuque. Cela devient de plus en plus compliqué de lui résister.

— Ça me revient maintenant. Nous avions fait un pari. Qu'une fois vieux et ridés comme aujourd'hui, cela serait toujours le cas.

— En effet.

Il dépose ses lèvres sur la naissance de mes épaules et je frissonne. Pour éviter de penser à ce traitement délicieusement douloureux, je recommence à parler.

— Est-ce que mon pari est réussi ? Est-ce que je te fais toujours de l'effet, même si mes couleurs sont ternes et ma peau peu agréable au toucher ?

— Oui. Grandement.

Il m'incite à me retourner et le mouvement dénoue ma serviette. Je n'ai que mes chaussettes aux pieds, ainsi qu'un sous-vêtement. Malgré les années, on peut encore apercevoir les cicatrices que je me suis infligées alors que j'étais au front. J'essaie de chasser la honte en pensant aux baisers de mon mari.

— Tu es toujours aussi beau Valentin, et ta vue fait toujours battre mon cœur. Si tu ne me crois pas, touche.

Il saisit ma main et écarte ses vêtements pour la poser sur sa cage thoracique. Elle remue rapidement, et son ciel étoilé brille de mille feux.

— Toi également, mon Eliot.

Mes paumes quittent son torse pour rejoindre ses joues. Il approche lentement pour que je l'embrasse enfin, après tant de tentations prodiguées. Le baiser dure longtemps, et nous nous regardons dans les yeux. Malgré l'âge et les ravages du temps, l'éclat au fond de ses iris n'a pas changé.

— Quelle heure est-il ? murmuré-je, en m'allongeant sur le lit, Eliot au-dessus de moi.

— L'heure de te montrer à quel point tu me fais toujours de l'effet.

Je souris de toutes mes dents avant de l'attirer à nouveau contre moi. Je suis honoré que sa phobie du retard soit vaincue par ce qu'il ressent pour moi. Et j'espère bien lui témoigner qu'il en est de même pour moi. 

Ciel de NoëlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant