Glissades

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Depuis quelque temps, je suis anxieux à l'idée de toquer à la porte des Hardy. Je ne sais pas trop pourquoi. Ou du moins, je fais comme si je ne savais pas. Mon cœur qui accélère, mes jambes qui flageolent, mes vêtements qui deviennent trop chauds et trop serrés alors qu'il fait super froid dehors, tout cela m'indique que je stresse parce qu'à chaque fois que je vois Rio, je suis tout retourné. C'est même pire depuis qu'il a rompu avec Caroline, il y a quatre mois. Parce qu'une part de mon cerveau, clairement hypothétique et utopiste, espère qu'il partagera mes sentiments.

Parfois, je m'imagine comme un panneau lumineux avec plein de flèches partout, très rouges — ou mêmes de toutes les couleurs, ça serait approprié — qui indiquent que je suis amoureux de lui. Et mon cerveau, encore lui, est très divisé là-dessus. Il aimerait que Rio s'en rende compte et réfléchisse à tout ça, mais en même temps, je suis incapable de m'imaginer en train de lui faire mon coming-out. Je ne l'ai dit à personne d'ailleurs. Peut-être qu'Abigail se doute de quelque chose, mais elle ne m'a pas encore interrogé. Tant mieux.

Rio répond, comme d'habitude. Il sait qu'à cette heure-ci, un dimanche, il n'y a que moi qui peux venir sonner. Il est déjà en tenue, ce qui indique qu'on est vraiment de vrais meilleurs amis. On s'est compris sans se parler. On a beau avoir un téléphone tous les deux, on n'utilise presque pas parce que les SMS ne sont pas illimités et que les forfaits sont suffisamment chers pour qu'on en rajoute une couche. Alors on utilise nos super-pouvoirs pour nous parler. Et cette fois-ci, nos têtes de télépathes ont dit il y a de la neige, on est obligés d'aller essayer de jouer au foot dedans, ça sera trop fun. On adore tous les deux quand il pleut — notre coach à Clear Lake nous trouve bizarres, tout comme nos coéquipiers — et la neige, c'est un nouvel élément qu'on n'a jamais testé. Elle est assez rare à Belfast, et cette année, elle est tombée en conséquence.

— T'as pas froid comme ça ?

Je suis en t-shirt, avec ma balle entre les mains. En réalité, mes bras sont couverts de chair de poule non pas parce que je ressens les températures drôlement basses, mais parce que je suis à côté de l'être aimé. En me regardant bien, je pourrais faire une excellente héroïne de film de Noël. Je suis certain qu'ils ont déjà dû épuiser le filon de la fille amoureuse de son meilleur ami, et qui est incapable de le lui dire. Moi, au moins, j'ai une bonne excuse. Na !

— T'inquiète, j'ai couru pour venir.

— Okay, alors je ne prends pas de veste non plus. Je te fais confiance, Miho !

Il m'offre son sourire lumineux, celui qui fait craquer bon nombre de filles de notre collège, et moi avec. Je pense très franchement qu'il ne se rend pas compte du pouvoir qu'il a sur les gens. Que sa popularité ne provient pas uniquement de son talent unique pour le foot. La preuve, je n'ai pas autant d'admirateurs et d'admiratrices que lui, alors que nous avons globalement le même niveau — ce n'est même pas moi qui le dis, mais lui.

J'essaie de chasser mes pensées troublantes — qui me viennent de plus en plus souvent, et pas à des moments très agréables — et je m'élance sur la neige. Les traces que j'ai laissées en arrivant sont toujours là, et je m'amuse à marcher dedans. Rio me fixe toujours avec son immense sourire aux lèvres. Il faut qu'il arrête, parce que je vais me transformer en neige, et fondre comme si un immense soleil brillait au-dessus de moi. Le soleil, c'est totalement lui.

— On fait la course jusqu'au terrain ?

Ses iris bruns brillent de joie, et ça fait battre mon cœur. Même si au fond de moi, je sais qu'il me considère uniquement comme son meilleur ami, ça me rend toujours heureux de voir que ses sourires et ses sentiments positifs me sont adressés.

— Avec joie, même si tu sais que je vais te battre à plate couture.

— C'est ce qu'on verra !

Ciel de NoëlWhere stories live. Discover now