18. Le pacte des acharnés (1/2)

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Cette conversation avec Rafael-Santos m'accapare l'esprit durant les jours qui suivent.

Si j'ai immédiatement été emballée par sa proposition, une part de moi ne peut pas s'empêcher de se méfier. J'ai déjà regretté de lui avoir donné ma confiance trop vite et je ne veux pas faire deux fois la même erreur, alors je passe plusieurs jours à peser le pour et le contre.

Tout d'abord, si ce sont bien ses parents qui ont travaillé à Color Caribe, ça veut dire qu'ils connaissent ma mère biologique. Bien qu'ils semblent l'avoir reléguée au rang d'ennemi public, la lettre qu'ils leur avaient adressée laisse croire qu'ils ont été très proches fut un temps. Ils savent donc certainement ce qui s'est passé et, potentiellement, l'endroit où elle est. Peut-être qu'ils connaissent même l'identité de mon père ? Je n'avais pas prévu de me lancer à sa poursuite, mais s'il sait où se trouve María-Carolina, son témoignage pourrait m'intéresser.

Sans compter que, si j'en crois les derniers aveux, la famille Maestre est elle aussi liée à cette affaire. Or, mis à part le fait que Carlos ait récupéré l'ancienne manufacture de sacs pour en faire un hôtel, je n'en mène pas large. Si nous agissons ensemble avec Rafael-Santos, cela veut dire que j'aurais quelqu'un d'aussi motivé que moi pour déterrer la vérité. J'ignore encore ce qui va me tomber dessus mais, au moins, je ne serais plus seule pour y faire face.

Je réalise vite que, bien qu'elle reste à prendre avec des pincettes, l'aide de l'accordéoniste pourrait bien m'être précieuse. Même Juli, d'ordinaire la plus méfiante du trio, affirme que l'accordéoniste ne pourra que m'aider à avancer plus vite.

C'est ainsi que je me retrouve, par un après-midi ensoleillé, à parler affaires avec Rafael-Santos sur le parvis de l'église Santo Toribio.

— Bon, avant toute chose : est-ce que tu es prêt pour ce qui nous attend ?

Assise en tailleur sur le granit tiède, je sonde attentivement mon interlocuteur. Sa peau mate et son t-shirt sombre ressortent sur les façades blanches de l'église et leurs moulures jaune vif.

— Par définition, on ne sait jamais vraiment ce qui nous attend, objecte Rafael dans un pragmatisme qui ne manque pas de me rappeler sa casquette d'expert-comptable.

— Ce que je veux dire, c'est qu'on s'apprête à déterrer de vieilles histoires, éludé-je. Ce n'est jamais simple, et je veux être sûre qu'on soit au clair sur ce qui nous attend parce que, pour ma part, il n'y aura pas de retour en arrière. J'irai au bout de cette affaire, coûte que coûte.

— On est deux. Je ne t'aurais pas proposé ce deal si ce n'était pas important pour moi. Et comme ça risque de prendre du temps, il va falloir qu'on trouve un moyen de rester motivés sur la durée.

— C'est-à-dire ?

— Je pensais que ça pourrait être bien de se challenger... En se lançant des défis, par exemple. Ça pourrait être un lieu où se rendre, une personne à interroger, ou même du matériel à trouver...

— Tu veux dire qu'on se donnerait des missions pour faire avancer l'enquête ?

Rafael acquiesce, tandis que je laisse échapper un sourire.

— Tu en penses quoi ?

— C'est une bonne idée, affirmé-je avec entrain. Je proposerais même d'aller jusqu'au bout en signant un pacte !

— Si tu veux. Tu as du papier ?

Je me lève et cours vers un vendeur de fruits tirant son étal au coin de la rue. Quelques mots et un éclat de rire plus tard, j'en reviens avec une feuille de bananier et un vieux morceau de craie.

— C'est quoi, ça ? m'interroge l'accordéoniste en détaillant mes victuailles d'un regard moqueur.

— C'est tout ce que le marchand avait pour écrire, mais ça fera l'affaire.

Imperturbable, je plaque ma feuille de bananier sur le parvis et la lisse d'un geste de la main.

— D'après toi, quels seraient les trois commandements de notre pacte ?

Rafael caresse distraitement la cicatrice sur son arcade.

— Au vu du matériel qu'on a pour écrire, on va peut-être procéder par mots clés.

— Sage décision.

L'accordéoniste sourit, avant de proposer :

— Le premier qui me vient, ce serait « curiosité ». Pour faire avancer l'enquête, il va falloir nous intéresser à tout, ouvrir grand les yeux et les oreilles...

J'acquiesce et m'empare du morceau de craie pour noter ce premier commandement.

— Toi, qu'est-ce qui te vient ? me retourne Rafael.

— Je dirais... persévérance. Parce qu'on doit jouer le jeu et ne pas refuser les défis de l'autre. Même s'ils n'aboutissent pas, on ne lâche rien.

Encouragée par mon acolyte, je prends note de ce nouveau mot d'ordre. J'arrive à la dernière lettre, quand il déclare :

— Si je peux me permettre, il manque le plus important de tous... La loyauté. Quoi qu'il arrive, peu importe ce qui nous tombe dessus, on doit s'entraider. Rester unis.

En croisant son regard sérieux, je comprends que ce pacte scelle quelque chose de fort, pour lui comme pour moi.

— C'est le mot qu'il nous manquait, affirmé-je. Il ne nous reste plus qu'à trouver un titre...

Rafael regarde le marchand s'éloigner en tirant son étal jusqu'à disparaître au coin de la rue.

— Puisqu'on a tous les deux la tête dure, on pourrait l'appeler le pacte des acharnés ?

— J'aime bien l'idée.

Je griffonne une petite signature qui, au vu de la taille du morceau de craie, s'apparente plus à un vulgaire gribouillis. Rafael, qui écope de la miette restante, peine à tracer un simple « R », avant de jeter le vestige de craie dans la poubelle voisine.

— Dans ce cas... Au pacte des acharnés, conclut-t-il en me tendant la main.

Le regard déterminé, nous échangeons une poignée vigoureuse. Une demi-seconde s'écoule avant que Rafael ne déclare :

— Et pour inaugurer cette alliance, je te défie d'aller sonder quelqu'un...

— Déjà ? m'étonné-je.

— Quoi, tu as l'intention de te défiler ?

Sa boutade a l'effet escompté et je m'empresse de le toiser d'un air de défi.

— Certainement pas. À qui tu veux aller parler en premier, tes parents ?

— Sûrement pas, je suis trop remonté pour ça... C'est plutôt à Carlos que je pensais. En tant que Maestre ayant repris Color Caribe, il sait forcément des choses.

— Et comment tu veux qu'on s'y prenne ? Tu es au courant qu'il te déteste, non ? Quant à moi, je n'ai aucune envie qu'il découvre mes recherches... D'autant plus maintenant que j'ai fouillé les archives et la cave pour trouver des réponses à mes questions.

— Je sais, Ana. Ce n'est pas vraiment directement auprès de lui que je te propose d'aller chercher l'information...

Là où tout a commencé [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant