1. Rêve prémonitoire ou cauchemar

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« Eh bien ! puisque tu ne peux pas être mon épouse, du moins tu seras mon arbre. »

Le cœur battant à vive allure, je me réveille en sueur. Les réminiscences de mon rêve me reviennent en mémoire.

L'étau qui m'écrase la poitrine. Mes jambes qui s'engourdissent sous l'effet de la panique. Mes pieds qui s'enracinent dans le sol. Le bout de mes doigts qui bourgeonne vers les cieux tourmentés. Et surtout la sensation d'être incapable de fuir un danger présent. Tout me semble si vraisemblable. Bien trop proche de la réalité...

Les souvenirs de mon cauchemar tournent en boucle dans mon esprit comme les images floues d'un kaléidoscope. Ils me donnent la nausée.

Je soupire avant d'ouvrir les yeux sur le plafond immaculé. Seule une fissure a résisté aux couches de peinture, ainsi qu'aux efforts de Diane.

Lors des travaux de rénovation, ma fiancée a tellement mis du cœur à l'ouvrage pour que la maison de nos rêves devienne enfin nôtre. Après avoir gratté la peinture autour de la fissure, elle a brossé la zone de réparation. Les morceaux les plus fragiles du plafonnage sont tombés comme escomptés. Elle a ensuite creusé la fissure, puis l'a rebouchée avec un enduit de qualité.

Cependant, quelques mois après notre emménagement, la crevasse est réapparue. Plus longue qu'auparavant, elle sépare désormais la chambre à coucher en deux parties. La mienne et celle de Diane. Même le professionnel du bâtiment auquel nous avons fait appel n'a pas trouvé l'origine du problème. Un énième glissement de terrain, probablement. Ce type de phénomène naturel est fréquent dans la vallée de la Meuse.

— Hé... T'es déjà réveillée ? me susurre Diane d'une voix ensommeillée.

Ses yeux ambrés me détaillent avec inquiétude.

Je les ai toujours trouvés renversants. D'une rareté sans égale, ils revêtent des nuances dorées sous les premiers rayons du soleil, tels ceux d'une biche.

— Oui... J'ai fait un drôle de rêve.

Je lui souris pour la rassurer, mais cela ne marche pas. Elle fronce toujours les sourcils, nourrissant l'espoir que je crache le morceau. Toutefois, je garde les lèvres scellées. Il vaut mieux que certaines choses restent secrètes. Qu'elles ne s'ébruitent tout simplement pas au risque de la perturber plus que de raison et de la briser.

Je ne veux pas la perdre.

De mon index, je souligne le croissant de lune tatoué sous son oreille. Ma caresse lui extirpe un gloussement.

— Tu me chatouilles... se plaint-elle entre deux éclats de rire.

Elle se tortille sous les draps alors que je continue mon manège. J'effleure sa pommette, suis les fins cheveux sur sa tempe, puis dessine le contour de sa mâchoire.

— Et ?

— Ce petit jeu ne prend pas avec moi, me réprimande-t-elle comme si j'étais une enfant. Tu évites tout le temps les sujets qui fâchent...

— Ah bon ?

Ma bouche remplace le contact de mes doigts. J'embrasse avec adoration son tatouage. Là où je la sais sensible. Sous cette Lune se cache l'accès aux étoiles. Les paupières closes, elle gémit sous mes baisers qui se font plus pressants.

La tête toujours dans son cou, je place l'une de mes cuisses de l'autre côté de son bassin afin de me retrouver au-dessus d'elle. J'en oublie mes sueurs nocturnes... et cette voix masculine qui me susurre une passion maladive.

Je ne pense qu'à Diane. À son parfum noisetté. À sa peau sous la mienne.

— Daphné...

Elle souffle inlassablement mon prénom en une supplique étouffée contre mon épaule, au rythme de mes doigts.

Mon front contre le sien, je la laisse reprendre ses esprits quelques minutes après. Ses seins dressés sous le coton de son débardeur trahissent les frissons de plaisir qui ont pris possession de son corps, tout comme ses joues rougies. Diane peine à retrouver une respiration régulière. Les lèvres entrouvertes et les pensées sens dessus dessous, elle me regarde avec une tendresse infinie.

Sa beauté me paraît inhumaine. Quasi divine. Elle me bouleverse. Enfin. Tout chez elle m'ébranle. Son nez droit, ses pommettes saillantes et ses cheveux qu'elle arbore désormais coupés courts.

Pour elle, je suis prête à soulever des montagnes. À me damner. À me marier.

Comme si elle lisait dans mon esprit, elle louche sur ma main posée à la hauteur de son cœur. Celle qui arbore ma bague de fiançailles.

— Tu n'es pas obligée... Si les préparatifs du mariage t'angoissent ou si tu n'es pas prête à céder le pas, on peut annuler la cérémonie. On a largement le temps pour décommander le traiteur, prévenir les invités... m'expose-t-elle, la gorge nouée par l'appréhension.

Je la fais taire d'un baiser.

Le mariage. Une institution qui ne m'attirait pas jusqu'à ma rencontre avec Diane. Quand elle m'a demandé de l'épouser, j'ai su qu'elle serait la femme de ma vie. L'âme à laquelle je me vouerais éternellement.

— À vrai dire, je trépigne d'impatience à l'idée qu'on m'appelle Madame Hymnes-Diosa.

— Alors, qu'est-ce qui te stresse tant en ce moment ?

Elle enroule l'une de mes mèches roses autour de son index. La coloration vive s'est estompée au fil des shampoings de telle sorte qu'elle se mêle à présent à mon roux.

— C'est la collab avec Olympe. Je pense qu'au fond de moi, j'ai peur que personne n'aime la collection.

Ce que j'avance n'est pas totalement faux. Plus le jour J se rapproche, plus je suis tendue.

— Ne raconte pas de sottises ! Tout va bien se passer, j'en suis certaine. Et tu sais pourquoi ?

— Pourquoi ?

— Parce que tu réussis tout ce que tu entreprends, et surtout... parce que je t'aime ! s'exclame-t-elle avant de me planter un baiser sur les lèvres.

Elle se lève pour filer dans la salle de bain adjacente, non sans me jeter un regard explicite. Mais il est déjà presque sept heures et demi, et elle risque d'arriver en retard au travail si je la rejoins sous la douche.

De toute façon, des forces invisibles semblent s'être liguées contre la volonté de Diane. La sonnette de la porte d'entrée retentit à trois reprises de manière prolongée. Perplexe, je dévale quatre à quatre l'escalier. Nous n'attendons aujourd'hui aucune visite. De plus, la poste ne livre pas si tôt. Notre facteur effectue en général sa tournée aux alentours de quatorze heures, l'heure du digestif chez notre voisin, Monsieur Bucchas.

Quand j'ouvre la porte, je découvre sur le paillasson une boîte signée d'une maison de luxe italienne. Aucune carte n'accompagne l'emballage épuré pour indiquer le destinataire. Pourtant, j'ai l'intime conviction que ce cadeau m'est adressé. La curiosité piquée à vif, je ne prends pas la peine de rentrer pour défaire le nœud noir.

Le vent du mois d'octobre s'infiltre sous mon peignoir tandis que je soulève timidement le couvercle.

— Un sac à main ?

L'accessoire placé dans une pochette en papier de soie manque de m'échapper. Son cuir en peau de serpent m'arrache un haut-le-cœur. Il va à l'encontre de mon mode de vie.

Qui est l'expéditeur de ce colis abject !?

Aime-moi, DaphnéWhere stories live. Discover now