7. Le rapt

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— [...] À moins que vous n'ayez un alibi en béton ou une explication...

Une explication à lui donner ? Ou un coupable idéal ? Celui qui me pourrit l'existence depuis plus de deux semaines ?

L'inspecteur Epeen se frotte énergétiquement la figure, tout en poussant un long soupir. Il sait. Il devine que je lui cache quelque chose. Pourtant, ma langue ne se délie pas tout de suite. Je suis tétanisée. Les mots s'embrouillent dans mon esprit. Les récents évènements se rejouent en un film chaotique. D'abord, le cadeau, puis la sensation d'être guettée. Ensuite, les messages. Finalement, les photos. Encore des messages, et surtout, des menaces sourdes.

Tout cela doit cesser. J'en suis malade.

— Quelqu'un me harcèle, soufflé-je, la peur au ventre.

Je m'assure que la porte du bureau est bien verrouillée dans mon dos. Mon coup d'œil n'échappe pas au policier gradé qui fronce davantage les sourcils.

— Est-ce que vous pourriez être plus claire ?

Après s'être redressé sur sa chaise, il croise les bras sur son torse. En une fraction de secondes, il est passé du gentil flic au méchant flic. Il me toise d'un air supérieur.

La « célébrité » possède comme une pièce de monnaie deux faces. Une facette agréable, celle qui nous accorde de nombreux privilèges et que nous montrons à tout le monde... ainsi qu'une forme d'adoration que nous recherchons inconsciemment chez nos fans pour combler un vide en nous, mais cette dernière peut se transformer en un véritable poison.

— Leucio m'avait avertie que gagner en popularité sur les réseaux pourrait se retourner contre moi. J'aurais dû l'écouter.

— J'ai du mal à vous suivre, Madame Hymnes.

— Pardon... Je ne voulais pas... Enfin...

Les roulettes de la chaise de bureau roulent dans un son strident sur le lino alors que je m'empourpre. L'enquêteur ne se tient plus si sévèrement derrière son ordinateur. Il me tend à présent une boîte de mouchoirs.

— Vous ne voulez toujours pas un verre d'eau ou un café ? me demande-t-il avec compassion. Nous avons tout notre temps.

— Non, merci. Peut-être après...

Il acquiesce, un sourire paternel sur les lèvres.

— OK, comme vous voulez. Reprenons depuis le début. Vous me dites que quelqu'un vous persécute ? Avez-vous porté plainte ?

J'essuie mes yeux, puis secoue la tête.

— Pourquoi ?

— Au début, j'y ai pensé, mais je l'ai simplement bloqué pour qu'il ne puisse plus m'envoyer de message sur Instagram. Des fans insistants, il en existe quelques-uns, sauf qu'ils ne sont pas tous alarmants ! Pourtant, quelques jours après, ç'a recommencé. J'ai reçu des SMS d'un numéro inconnu. Mon harceleur est au courant pour Leucio et moi...

— Vous l'aviez dit à Leucio Pisa ?

— Pas vraiment...

— Pas vraiment ? s'étonne le policier, le front plissé.

— Lors de la soirée de lancement de ma collection de bijoux avec Olympe, je l'ai pris à part pour l'interroger. J'avais besoin de savoir s'il avait soufflé un mot de notre aventure d'un soir à un ami ou à un collègue.

Les mains coincées sous mes cuisses, je croise mes jambes dans l'espoir que mes tremblements s'arrêtent. En vain.

— Et ?

— Et il m'a juré qu'il n'avait révélé à personne notre incartade.

@Apoll0n s'est procuré le cliché capturé par un appareil jetable d'une façon qui m'échappe encore. D'ailleurs, je croyais que Leucio avait détruit la photo à ma demande. Force est de constater qu'il l'avait gardée en souvenir, et ce jusqu'à son dernier souffle.

— Vous semblez certaine que l'assassinat de votre ancien amant soit l'œuvre de ce fan. Pourquoi ?

— En plus de ses déclarations enflammées, proches de la démence, il m'a suivie à plusieurs reprises. Je le sais parce qu'il m'a envoyé des photos lambda où je me trouve en la compagnie de Leucio. Ça ne peut être que lui...

— Lui ? Vous connaissez son identité ? Ou vous l'avez déjà rencontré ?

— Je ne l'ai jamais rencontré et je ne sais rien de lui, excepté son pseudo...

@Apoll0n.

— Oui, mon amour ?

Je bats des cils en poussant un grognement. Un mal de crâne lancinant m'empêche d'ouvrir directement les yeux, comme si une barre de fer pesait sur mon front. J'ai en plus un arrière-goût de sang sur la langue. Ma bouche est pâteuse tant j'ai soif. Je déglutis avec difficulté.

— Tu te réveilles enfin. Nous sommes bientôt arrivés, m'avertit une voix masculine.

Une pression délicate s'exerce à l'arrière de ma tête. Des doigts ? Ceux-ci plongent dans mes cheveux et replacent une mèche derrière mon oreille. Puis ils glissent lentement dans mon cou, avant de s'arrêter au niveau de ma clavicule gauche. Je frissonne sous la caresse glacée. J'ai l'impression d'être en feu. Que ma peau brûle.

— Mmmh...

Le premier essai pour prononcer un mot est peu concluant. Les syllabes s'articulent selon un ordre correct dans mon esprit, mais elles ne passent pas la barrière de mes lèvres qui sont desséchées. Toute tentative de parole meurt en un gémissement. Je me sens flotter dans un nuage de confusion.

— C'est normal si tu n'arrives pas encore à parler. Les psychotropes et l'alcool ne font généralement pas bon ménage, mais je ne pouvais pas prévoir que tu boirais !

Alarmée, je me force à garder les paupières ouvertes, bien que la nausée me gagne illico. Mon estomac danse avec mon cœur une lambda cacophonique. Même en fixant l'horizon, la sensation de naviguer à bord d'un paquebot ne me quitte pas. Des remous imaginaires me font tanguer sur le siège passager de la voiture dans laquelle je suis assise. Au loin, des nuances de rose, d'orange et de rouge ondulent dans le ciel. Les couleurs du coucher de soleil forment des vagues hypnotisantes. Je flotte dans un état proche de l'euphorie.

— Mmmh...

— Je sais. Même les plus grands artistes ne sont jamais parvenus à capturer l'essence d'une telle beauté. Beaucoup s'accordent à dire que rien ne vaut le lever du soleil, « parce que l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt » ! récite le conducteur sur un ton sarcastique. Pourtant, ce que je préfère, moi, c'est le crépuscule. Quand une faible lumière, presque incertaine, subsiste, ce moment si bref où la clarté lutte contre la pénombre.

Une paume chaude se pose sur l'un de mes genoux pour le presser. De toutes mes forces, je me concentre sur la distance qui sépare le bout de mes doigts de cette main étrangère pour la chasser. Pour faire disparaître l'excitation qu'elle exerce sur mon corps et qui va à l'encontre de mes pensées. Toutefois, je l'effleure à peine. Mon être semble se dissocier de mon esprit. Les deux ne se répondent plus. L'un désire, tandis que l'autre endure.

Le son de la radio augmente dans l'habitacle du véhicule. Les sonorités rock me font tressaillir. Un sourire aux lèvres, je bats la mesure du titre populaire alors que la voix masculine fredonne les paroles.

'Cause you can be the beauty

And I could be the monster *

Dans un dernier effort, je bascule la tête sur le côté. Je discerne enfin un profil baigné d'un rai doré. Et un soleil tatoué.

*Extrait de Måneskin, I Wanna Be Your Slave

Aime-moi, DaphnéWhere stories live. Discover now