5 Henri

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Je scrute le ticket en me mordant les lèvres. Je ne suis même pas sûr d'avoir cette somme actuellement.

— Comment ça, 287 € ?

— De Paris à ici, ça fait 287 €. Et encore, je n'ai mis le compteur en route qu'en sortant de la capitale parce qu'elle m'a fait de la peine à pleurer toutes les larmes de son corps pour la mort de son père. Si j'avais su !

La mort de son père... Monsieur Mancini est effectivement décédé. Son enterrement a eu lieu il y a quelques jours. Alors c'est bien elle... Je tente d'imaginer une explication plausible à cette situation, sans succès.

— Très bien. Attendez un instant.

Je rejoins mon casier, que je trouve grand ouvert, tout comme mon paquet de gâteaux. Éric va m'entendre ! J'attrape mon portefeuille et reviens sur mes pas.

Plus léger de 287 foutus euros alors que je n'ai jamais pris un taxi de ma vie, je conseille à la conductrice d'être prudente pour son retour. La porte se referme sur elle et le calme s'installe à nouveau autour de moi. Je sens Éric se matérialiser à mes côtés. Lorsque je le dévisage, il est plus pâle qu'à l'accoutumée.

— Si ça se trouve, elle n'avait pas sa licence, cette bonne femme, et tu viens de te faire enfler de quasi trois cents balles.

— Quel escroc se pointerait de lui-même dans une gendarmerie ? Mais y a tout de même un truc louche...

Je tends la carte bleue de la fugitive à mon collègue.

— Carrément louche, même. Cette fille est morte. Elle ne peut pas arnaquer qui que ce soit !

— Et si... Si elle n'était jamais décédée, en réalité ?

— Mon pote, on est allé à son enterrement. On a vu son cercueil. Elle est morte, point. Pour que les gendarmes de l'époque déclarent son décès, c'est qu'ils avaient des preuves solides. Ça doit être une sale blague de celle qui s'est tirée du taxi, soutient-il obstinément.

Mais qui irait faire ce genre de vanne pourrie ?

— Range ce truc dans le rapport et oublie cette histoire. T'auras perdu une belle petite somme, mais tu t'éviteras des emmerdes. Les affaires de revenants en pleine nuit, c'est pas un délire pour moi !

Je le fixe du regard deux secondes, perplexe.

— On va quand même aller faire un tour dehors, parce que si le taxi disait vrai, il y a une jeune femme saoule qui traîne dans les rues.

Éric prend une profonde bouffée d'air et finit par reculer d'un pas. Le règlement nous oblige à toujours sortir en binôme, mais ça semble mal engagé, encore une fois.

— Tu ne viens pas ?

— Non, la chasse au fantôme, c'est pas pour moi !

En deux temps, trois mouvements, j'ai enfilé mon manteau et je quitte la gendarmerie avec une lampe torche. Le silence de la nuit enveloppe tout le village. Seuls les lampadaires municipaux, qui font la fierté du maire, éclairent les trottoirs déserts. Je marche sans me presser, prendre l'air me fait du bien.

Devant chez les Morins, je croise un chat qui miaule. Je lui ouvre le portail et referme quand il est entré. Tu ne pourrais pas sauter pour escalader le mur comme tes copains ? Feignasse !

Je passe ensuite devant le cimetière. Rien à signaler ici non plus !

Après une petite vingtaine de minutes, j'ai fait un tour succin du village. Je n'ai croisé ni humain ni fantôme. Je rentre avec des questions plein la tête. À l'époque, après des semaines de recherche, Joanna Mancini a été déclarée morte. Ce qui n'était de toute évidence pas le cas. J'étais loin d'être gendarme à ce moment-là, et on n'a rien vu dans les journaux. Je ne comprends pas pourquoi personne n'a cherché à en savoir plus. Le cercueil a logiquement dû être enterré vide. Qui était au courant ? Les forces de l'ordre ? Son père ? Et puisque Joana était bien vivante pourquoi n'a-t-elle pas réapparu ? Comment a-t-elle pu vivre sans qu'on la repère jusqu'ici ? Je suis pourtant certain que la peine de son père était réelle lors des funérailles. Il a été triste tout le reste de sa vie après ça.

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 16, 2023 ⏰

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